Misfits, mystifiés et martyrs (Good Country People) de Flannery O’Connor


par : Michel Imbert


Dans “Good Country People” (1955), une double intrigue se trame sur fond de divine comédie : une intellectuelle farouchement athée entreprend de séduire un petit vendeur de bibles qui s’avère être un sacré pervers. Le faux dévôt qui s’est donné cyniquement le nom d’une race de chien (Pointer) se comporte comme la dernière des crapules : non content de ne point l’honorer – le viol aurait été consenti de bonne grâce si le gaillard l’avait possédée de toute son âme- le scélérat pousse le vice jusqu’à la dépouiller de sa jambe artificielle après lui avoir confisqué ses lunettes. Scabreux et sordide.

L’imposteur n’est pas simplement un détraqué sexuel à l’esprit particulièrement dérangé car il se présente de surcroît comme un missionnaire itinérant doublé d’un marchand du temple et il opère sous le manteau de la religion. Pourtant, après-coup, sa victime qui voit trouble, croit confusément reconnaître en lui la figure du Sauveur qui s’éclipse. Ce n’est sans doute qu’une vue de l’esprit mais l’équivoque est rendue possible par le fait que, dans la Bible, l’avènement du Sauveur est effectivement annoncée comme la venue d’un voleur : “If therefore thou shalt not watch, I will come on thee as a thief, and thou shalt not know what hour I will come upon thee” (Revelation 3, 1-6) [1].


“As a thief” : autrement dit, à la manière furtive d’un voleur ou, tout aussi bien, déguisé sous les traits d’un voleur. Les Saintes Ecritures laissent entendre de façon ambigue que le Dieu caché pourrait se dissimuler sous le masque d’un voleur. De fait, le Dieu chrétien si tant est qu’il existe, ne se manifeste que sous une forme inversée, sous les traits du Crucifié, en troquant la puissance et la gloire contre le sort humiliant des suppliciés [2]. En prenant corps, certes Dieu le Père se donne à voir, mais l’Incarnation ne va pas sans une inversion radicale des attributs de la divinité. Le propre du Dieu chrétien est de se donner par amour et, du même coup, de se donner pour ce qu’il n’est pas. Il est moins celui qui est, l’Etre suprême de la métaphysique occidentale, que celui qui n’est pas sans l’être [3].


Or, si Dieu revient sous les traits d’un voleur, c’est paradoxalement dans un monde désenchanté qui s’accommode relativement bien de son absence. Tous les personnages de la nouvelle se sont inventé une religion de substitution. Mrs Hopewell et Mrs Freeman communient dans le culte du bon sens et échangent rituellement des clichés qui sont pour elle parole d’évangile. Hulga se veut un esprit libre, résolument agnostique ; elle prétend forger son destin et se sauver elle-même grâce à ses propres facultés intellectuelles. Quant à l’imposteur qui colporte des bibles sans y croire, c’est un fétichiste en diable qui collectionne des curiosités d’un goût douteux : une jambe de bois, un œil de verre parmi d’autres objets-culte passablement obscènes. Ces personnages représentent trois spécimens de fétichisme(s) en lieu et place de la religion révélée : le fétichisme au sens trivialement psychanalytique du terme dans le cas de Pointer et deux autres variétés plus relevées qui rappellent l’étymologie religieuse du terme (du portugais feitiço qui désigne les faux dieux), le respect fanatique des idées reçues et l’idolâtrie de l’intellect. Le fétichisme dans tous ses états est symptomatique d’une Amérique matérialiste et individualiste où la mystique est désormais disponible en kit : Flannery O’Connor qui ne faisait pas mystère de sa foi a dénoncé dans une lettre à John Hawkes ce qu’elle nommait “a do-it-yourself religion” [4].


Néanmoins ces mécréants restent incroyablement crédules comme si, incorrigiblement, la manie de se mystifier l’emportait envers et contre tout, comme si le besoin compulsif de croire en des signes fétiches plutôt qu’en rien persistait au prix du travestissement de la foi. Indéfectiblement, les désaxés mystifiés s’abusent et tentent de redonner sens à leur martyre en le parant d’une aura messianique. En définitive, seule perdure la passion des signes prise pour l’ultime avatar des signes de la Passion.


1.Premier exemple de la foi dans les signes, le parler commun illustré par les commérages de Mrs Hopewell et de Mrs Freeman. Mrs Hopewell a mis la Bible au rebut, elle l’a remisée au grenier alors que sa place selon le vendeur de Bible devrait être au salon (“parlor”). Les commères n’en continuent pas moins à échanger des lieux communs qui leur tiennent lieu de lien commun, comme un. Pour elles, la langue courante fait office de religion monothéiste. Le cérémonial de la conversation, devenu routinier, n’est pourtant plus qu’un rite dégradé . Elles égrènent des formules stéréotypées qui tombent comme des sentences, des proverbes bibliques tronqués, à la limite de l’agrammaticalité. Le soi-disant bon sens frise le non sens absolu: “Everybody is different. Yes most people is” (273). “Some people are more alike than others” (282). La langue usuelle ainsi maniée trahit la confusion des valeurs qui règne dans leurs esprits. Mrs Freeman rapporte tels quels, au style indirect libre, les propos révélateurs de son gendre qui tout en tenant le mariage pour sacré refuse de consentir à des sacrifices financiers extravagants pour une cérémonie à l’église :

“Lyman said it sure felt sacred to him. She said he wouldn’t take five hundred dollars for being married by a preacher” (281)

L’asyndète, l’absence de coordination entre les deux déclarations contradictoires, souligne l’usure extrême du terme “sacred” dans l’Amérique de l’après-guerre. On discute du sacrement du mariage comme s’il s’agissait d’ une option pour une voiture de série :

“[Mrs Freeman] said he owned a 55 Mercury but that Glynese said she would rather marry a man with only a 36 Plymouth who would be married by a preacher. Mrs Hopewell said there were not many girls with Glynese’s common sense” (282).

2. Deuxième cas de confiance en soi qui repose au fond sur la confiance en un langage considéré à tort comme un gage de vérité : le discours philosophique qui, pourtant, ne peut faire l’économie des équivoques de la langue commune. Joy Hopewell, qui s’est rebaptisée Hulga, ironise au sujet des métaphores usées que sa mère affectionne : “Get rid of the salt of the earth and let’s eat.”(279). Elle répugne à utiliser les mots galvaudés comme “love” par exemple :
“If you use the word loosely you might say that. But that’s not a word I use” (287).


On devine que sa prédilection pour la philosophie provient de la nécessité de prendre le contrepied du bon sens soi-disant communément partagé. On pressent également que son éducation philosophique, les principes rigoureux derrière lesquels elle se retranche en s’imposant une discipline intellectuelle de fer, ont été sa façon à elle de surmonter son handicap physique et de redresser son corps infirme. L’appareillage qui corsète sa démarche intellectuelle est l’équivalent intellectualisé de la prothèse qui lui permet de se mouvoir. Joy-Hulga s’est relevée par l’opération de l’esprit, grâce à ses propres ressources intellectuelles. Au grand dam de sa mère, elle se complaît dans la lecture de ce qui paraît être à cette dernière du galimatias pur et simple : “an evil incantation in gibberish” (277).Sa mère ignore qu’il s’agit en fait d’un passage d’un essai de Martin Heidegger où il est dit en substance que la science nie le néant par principe [5] :

“One thing stands firm : science wishes to know nothing of nothing” (277).

L’oubli de l’être est le principe fondateur sur lequel s’échafaude le raisonnement scientifique selon Heidegger qui fait apparaître l’appareil conceptuel du savoir comme une façon de se dissimuler un abîme plus fondamental encore. Les hypothèses scientifiques sont en quelque sorte les prothèses du savoir, le dispositif factice sur lequel s’érige l’under-standing dont le bien fondé est douteux. On remarquera que la traduction anglaise du texte allemand original introduit fortuitement un jeu de mots supplémentaire : dans la phrase “science wishes to know nothing of nothing”, “no” revient comme un refrain ou une rime intérieure et suggère qu’en dépit de ses dénégations, la connaissance scientifique reste habitée par le néant inscrit en toutes lettres au coeur du mot “know”. Ce jeu de mots involontaire n’est-il pas le signe révélateur que l’esprit philosophique ne raisonne jamais qu’avec les mots de la langue commune dont les résonances insoupçonnées lui échappent ? L’impensé de la démarche intellectuelle, c’est bien l’usage de la langue commune sur laquelle le discours philosophique se fonde pour argumenter tout en la jugeant de haut au nom de la logique pure. Lacan se gaussait de la prétention des esprits prétendument supérieurs à s’affranchir des errements de la langue et il taxait la philosophie de “flousophie” ou encore de “filousophie”.


Hulga, comme toute philosophe qui se respecte, se proclame fille de ses oeuvres et déclare son indépendance absolue. Le fait de se forger un nom est à ses yeux l’acte démiurgique par lequel elle signifie que la con-naissance philosophique est re-naissance ex nihilo, ayant fait table rase des origines. “She saw it as the name of her highest creative act” (275). L’invention du nom Hulga subsume un tohu bohu inénarrable ; ugly (275), hull (274), hulking (273), olga, beluga, a “gul” (136), ugh, l’onomatopée de la nausée, entre autres, sont amalgamés dans ce vocable imprononçable qui en dit long sur la prétention de notre philosophe à réformer la langue courante qui lui sert de soubassement pour en faire l’expression de la vérité, seule digne de foi. Elle se donne le nom disgrâcieux d’Hulga où se lit en anagramme laugh [6]. Hulga c’est ce qu’il reste de l’allégresse enfantine après l’accident tragique qui lui coûta sa jambe : un éclat de rire démoniaque ou un immonde rictus. Hulga c’est laugh désarticulé, à qui il serait arrivé l’accident de Mrs Shortley. En se rebaptisant ainsi, Joy alias Hulga revendique le titre indiscuté d’ugly duckling, de brebis galeuse. Ce surnom ingrat est le signe qu’elle croit aux pouvoirs de la poésie, à la création verbale à partir de rien. “Poets are the unacknowledged legislators of the world” disait Shelley [7]. Hulga entend bel et bien légiférer, se doter de lex-legis, pluriel, leges. En décrétant qu’elle s’appelle désormais Hulga (“her legal name was Hulga”,274 ), elle promulge (prom(h)ulgates) sa loi, sa foi en son moi tout puissant qui repose sur un jeu de mots : Hulga, quasi anagramme phonétique de legal, lui-même anagramme de A leg. Elle a perdu une jambe mais elle s’en est redonné une par la magie du verbe, par le prodige de la pensée qui prétend dicter sa loi et l’imprimer sur son corps débile. Elle s’arroge le droit divin de nommer, de se forger tel Vulcain, le dieu boîteux [8], une nouvelle identité surhumaine qui ne dépendrait que d’elle-même. Elle s’attribue ainsi le rôle viril du démiurge et, en son for intérieur, elle dresse un autel à la gloire de son propre génie (“true genius can get an idea across even to an inferior mind”, 284). Elle s’érige en sujet souverain absolument libre et prétend non sans arrogance se sauver par ses propres oeuvres : “‘In my economy’, she said,’ I ‘m saved and you are damned’”(286.). Sa majesté le moi usurpe la place de Dieu le Père et s’instaure en Trinité des temps modernes : I, me, and myself selon l’expression de Pierre Legendre. “My economy”, mon ego, mon écosystème ergonomique follement fétichisé.


3. Sur ces entrefaites, Manley Pointer se pointe et il se met à subvertir les façons de parler des uns et des autres, rendant ainsi confuse la faculté de juger. Par son truchement, l’inconscient linguistique qui sous-tend à la fois le parler commun et le discours philosophique fait retour en force. On assiste à l’irruption du nonsense à la Lewis Carroll en plein coeur de la Bible Belt. Pointer prend un malin plaisir à prendre les signes au pied de la lettre. Lors des présentations rituelles, il fait mine de confondre le toponyme du lieu-dit (“The Cedars”) avec le patronyme de la famille qui y réside :

“Good morning Mrs Cedars !

I’m Mrs Hopewell

I saw it said the Cedars on the mailbox so I thought you was Mrs Cedars” (277)

Et il s’empare aussitôt du nom pour faire un jeu de mots prétendument spirituel:

“I hope you are well” (277-278).

Le faux dévôt qu’il est détourne le sens des signes. Lorsqu’il cite le texte biblique, c’est de façon inexacte (“He who loses his life shall find it”, 280) en omettant “for my sake” (Matthew, 16, 25) qui, en l’occurrence, fait toute la différence car il ne s’agit pas seulement de jouer à qui perd gagne mais de se sacrifier pour l’amour du Christ. Il se livre ainsi à un trafic de devises religieuses. Le charlatan qui ne se déplace jamais sans son carpet bag n’a recours pour son boniment qu’à des mots valise qui contiennent tout un assortiment hétéroclite de termes. “Chrustian”(279) au lieu de Christian comporte toutes sortes d’ harmoniques qui percent sous le vernis christique : crust au sens de croûte ou d’incrustation qui insinue irrévérencieusement que le Sauveur est assimilable à un croûton de pain ou à un corps étranger plus ou moins incarné tel un implant sous-cutané mais qui, même tel, n’est jamais qu’un cosmétique à fleur de peau. Le mot “chrustian” comprend en outre le mot crus qui désigne la partie inférieure de la jambe comme s’il trahissait déja l’intention de s’approprier la jambe artificielle sous couvert d’être un bon chrétien. En s’altérant ainsi, le terme christian mué en “chrustian”, devient insensiblement un lit de Procuste (procustean). De même, “Inraduce” (279) utilisé au lieu du mot convenu introduce télescope reduce et le radius, déclinés comme autant de flexions d’un radical, d’une racine étymologique commune.


Inversement, lorsqu’il ne condense pas des termes distincts en les combinant jusqu’à l’absurde, il les scinde diaboliquement. Ainsi le mot “pic-nic” dissociés en deux syllabes qui séparément connotent le verbe to pick (voler) et Old Nick (le Diable) et qui évoquent la formule du Cosmopolite dans The Confidence Man d’Herman Melville : “Life is a picnic en costume” [9]. La mascarade des mots trompeurs est à son comble lorsque Pointer se met à moduler à sa manière l’expression stéréotypée qui résume à elle seule l’idolecte local : “good country people”. La locution figée comporte un certain nombre de variantes qui brouillent la signification supposée transparente de cette formule monolithique : tour à tour, les personnages glosent “good” par des expressions analogues : “real honest” (279), “real genuine” (279), “sincere […]genuine” (280) “simple” (291) [10]. Pointer a l’art de disloquer les termes qui, d’ordinaire, font bloc : alors que Hulga sous le choc se met à bafouiller et à parler machinalement comme sa mère, au mépris des règles élementaires de la syntaxe (“Aren’t you just good country people?”, alors qu’elle devrait dire en toute logique : a good country boy/ man?), Pointer détourne le sens de la locution en donnant à “good” d’autres inflexions peu orthodoxes : “Let’s begin to have a good time” ; “We ain’t got to know one another good yet” (290).


Pointer s’en prend à Hulga en mettant la métaphysique à l’épreuve de la pataphysique. Hulga reste interloquée par la question d’une débilité désarmante que Pointer cramoisi lui pose pour amorcer leur commerce philosophique pseudo-platonicien : “You ever ate a chicken that was two days old?” (283). D’emblée on l’imagine désarçonnée par l’obscénité qu’elle subodore sans en avoir assurément la preuve. [11] Pointer a l’art de détourner systématiquement les paroles échangées pour prendre son interlocutrice à son propre piège. Il lui souffle les mot convenus de la déclaration d’amour (“You got to say it”, 287) et à peine a-t-elle craché le morceau comme une Molly Bloom qui serait mise à la question (“yes, yes”,288), qu’il enchaîne aussitôt implacablement : “Prove it” (288). Dans ce faux dialogue, les automatismes langagiers s’engrènent machinalement comme les rouages d’un instrument de torture.


Pointer est un littéraliste en diable. Il prend Hulga au mot et s’acharne à rabaisser la philosophe pédante, à la faire chuter de son piédestal et à saper les fondements de son savoir en s’attaquant à cette prothèse dont elle a fait le siège de son âme de manière tout à fait déplacée [12]. Lui confisquer sa prothèse, c’est sa manière à lui de s’en prendre symboliquement à toutes les hypothèses sur laquelle Hulga s’appuie ou, plus exactement, une façon d’insinuer que les hypothèses intellectuelles sont réductibles à des prothèses matérielles qui, par condensation et déplacement, deviennent absurdement le siège de la personne, le saint siège de l’âme qui s’efforce ainsi vainement de se dissimuler son inexistence. Ce qui n’est d’ordinaire qu’une expression figurée, to pull somebody’s leg (qui correspond curieusement à “faire marcher quelqu’un” en français), devient atrocément littéral dans son esprit. Alors qu’Hulga invoque Malebranche et sa vision en Dieu pour rabrouer sa mère (276), l’imposteur se faisant appeler Manley Pointer, se présente précisément comme la réplique de Malebranche au pied de la lettre : Male/ Manl(e)y – Branch/Pointer [13]. Manley Pointer en tant qu’avatar de Malebranche, c’est la métaphysique cartésienne déculottée. L’imposteur a le don de mettre à nu les blessures intimes masquées par l’éducation qui est comparable à une opération de curetage et qui participe de la chirurgie esthétique : “As a child she had sometimes been subject to feelings of shame but education had removed the last traces of that as a good surgeon scrapes for cancer” (288).


Démystificateur, Pointer procède à un nivellement systématique par le bas : le corpus philosophique est réduit au corps, le corps à une prothèse et, de proche en proche, la prothèse à rien du tout. Il provoque ainsi une vertigineuse descente d’organes qui se termine irrémédiablement par une chute et, du reste, Pointer n’est jamais aussi secrètement touchant pour Hulga que lorsqu’il semble sur le point de rendre l’âme et de se vider sous ses yeux :

“Say yes Hulga, he said and gave her a dying look as if he felt his insides about to drop out of him” (284)

C’est alors qu’il touche le point sensible, car la chute des corps, leur propension viscérale à s’effondrer et à s’évider, est ce à quoi l’appareil conceptuel a de tout temps permis de parer. Pour Hulga, penser, c’est avant tout une manière de panser ses plaies et les mots de la philosophie dont elle se gargarise n’auront été que le masque des maux qui affligent son corps souffrant enclin à la décrépitude. La philosophe hautaine se croyait calée. Pointer rabaisse ses prétentions en lui retirant tout simplement sa cale. Il expérimente la déconstruction philosophique au sens littéral du terme : il démonte l’intellectuelle jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’un monstre. C’est ainsi que cet arriéré mental reconverti en donneur de leçons conçoit l’art de la dé-monstration. Et c’est ainsi que l’intellectuelle arrogante qui se croyait détachée de tout finit par être manipulée comme une marionnette déglinguée [14] et que, mise en pièces, elle est en fin de compte réduite à ramper ventre à terre sur son perchoir.


Le démembrement d’Hulga au grenier est assimilable à ces jeux interdits de l’enfance perverse qui reproduisent la naissance par nature monstrueuse et préfigurent, à la manière d’une répétition générale, la décomposition du cadavre (du latin caedere chuter). La chute des corps est l’invariant depuis l’enfantement qui vous expulse ici-bas, en attendant de basculer dans le vide. C’est sa propre chute inconcevable que le vieux Dudley s’efforce de se dissimuler en contemplant rituellement l’apparition du pot de géranium, autrement dit, par le spectacle d’une nature morte qui est aussi le dernier vestige d’un univers bucolique qui était déja un terrain glissant. Le baptême-noyade de Harry alias Bevel est la confirmation d’une chute qui a déjà eu lieu et qui ne manque pas de se reproduire. Périodiquement, régulièrement meurtrie depuis l’accident de chasse survenu à la puberté et jusqu’à ce qu’elle devienne à nouveau la proie d’un séducteur cynique qui la possède à sa manière, Hulga n’aura cessé de choir, de déchoir irrémédiablement. La chute est un désordre chronique . Pointer, juste avant de disparaître, achève de sermonner notre philosophe pontifiante en lui rappelant qu’il n’a pas eu besoin de faire d’étudier laborieusement la philosophie pour savoir instinctivement depuis qu’il est né que rien n’a de valeur. Cette “sagesse” là, il se targue de l’avoir dans le sang et de la posséder de façon innée. C’est l’héritage désolant des desperados congénitaux.


Or même Pointer n’est pas le prophète accompli du nihilisme qu’il croit être, pas plus qu’Hulga qui pourtant le professait du haut de sa chaire improvisée : elle prétendait avoir perçé à jour le néant, “I am one of those people who see through to nothing”(287). Les apprentis nihilistes ne peuvent pas détruire totalement ni s’abîmer irréversiblement dans le néant sans se raccrocher à un garde-fou. Au bord du gouffre, Pointer se retient de se perdre en se donnant de nouveaux fétiches, en reconstituant de toutes pièces une religion de substitution. Il a besoin de croire en quelque chose plutôt qu’en rien, autrement dit en des signes factices qui font diversion au désastre imminent et depuis toujours immanent. Il érige une jambe artificielle en objet de culte. Elle sera son article de foi. Il se fera prophète de la prothèse.


Même ce littéraliste d’enfer ne peut pas se dire qu’une jambe artificielle n’est jamais qu’une jambe artificielle, “un objet, le moins érotique qui soit, une banale jambe de bois” (André Bleikasten, 53), car à ses yeux, elle est bien plus. Elle devient la figure du fruit défendu. Emerveillé, il tient une partie de jambes en l’air : la cuisse maternelle d’où il fut extirpé, la pointe phallique qu’il s’est nominalement appropriée ; la jambe artificielle capable de se transsubstantier de la sorte est l’objet transitionnel providentiel. C’est une machine de rêve qui lui permet de se rejouer à volonté en privé la scène primitive où il fut conçu, la scène de son enfantement et, par anticipation, sa propre mise à mort, son démembrement par personne interposée. Ceci n’est pas purement et simplement une prothèse, ceci est mon corps. La jambe artificielle se mue en un jouet miracle, un joujou pour jouir et apprendre à mourir : “he took it off himself handling it as tenderly as if it were a real one” (289)


Pointer, qui prend un malin plaisir à faire tomber les tabous, intronise aussi sec son totem dans le saint des saints, sa valise convertible en autel par un tour de passe-passe. Drôle de roi mage que ce magicien douteux qui dépose de piètres présents aux pieds de celle qu’il affecte de vénérer comme une déesse. L’attachement à des fétiches de fortune est la parade à laquelle il a recours pour réparer la blessure originelle que fut la naissance et que les vicissitudes de l’existence n’auront fait, somme toute, que répéter. Car la vie dès le commencement aura été un naufrage (“The River”)
; le baptême est déja la confirmation de la chute originelle toujours recommencée (“The Geranium”). Ce n’est pas sans mauvaise foi que Pointer sermonne Hulga et lui inculque qu’il sait depuis qu’il est né qu’il n’y a rien à attendre ici-bas. car il ne peut s’empêcher de croire qu’il ne croit rien et de recomposer insidieusement de la sorte un semblant de crédo. A l’instar du Sud dont Flannery O’Connor écrivait dans Mystery and Manners qu’il était à la fois désaxé et habité par le spectre du christianisme (“hardly Christ-centered but certainly Christ-haunted”) [15], le fétichiste reste un croyant caricatural qui est hanté par le démon de l’absolu et qui s’adonne à des objets dérisoires pour conjurer le vertige et le vide en son coeur.


Quant à Hulga, malgré sa profession de foi nihiliste, elle est tout aussi fétichiste à sa manière. Ce n’est pas sans réticence qu’elle ne consent à se départir de sa sacro-sainte prothèse, l’objet partiel adoré en lieu et place de l’objet perdu qui est devenu de façon aberrante la figure déplacée de son moi tout entier. Même au plus fort des ébats amoureux, elle ne s’abandonne pas : “Her mind throughout this never stopped or lost itself for a second to her feelings”(287). Elle fait partie de ces femmes dont Montaigne dit qu’elles ne donnent jamais que d’une seule fesse, en l’occurrence d’une seule cuisse, fausse au demeurant. La prothèse qu’elle feint de donner à Pointer, elle compte bien qu’il la lui rende ; elle ne feint de léguer son leg qu’en escomptant qu’il lui soit dûment restitué en état de marche. Elle se plaît à s’imaginer un scénario érotique, une liturgie intime : chaque nuit religieusement, Pointer tout à sa dévotion, lui prendrait la jambe artificielle, la caresserait, la remettrait à sa place : don, contre-don, ainsi se conjugue la nuptialité dans son esprit boîteux. Le fauxlegs, le faux don d’un leg artificiel qu’elle dé-léguerait pour qu’il lui soit restitué aurait l’intérêt supplémentaire de lui procurer l’illusion d’une intégrité retrouvée. Le leg(s) dont elle se déssaisit doit lui revenir, lui rapporter puisqu’il ne se rapporte qu’à elle, étant la figure de son moi propre. “‘In my economy’, she said ‘I’m saved’” (286.) Dans son économie, il n’y a pas place pour un don en pure perte ; il n’y a que de faux legs qu’elle feint de transmettre pour mieux se les réapproprier tout compte fait. Par trois fois, comme Pierre reniant le Christ, elle gâche la chance d’un don authentique : “Give me my leg”(290). Sous entendu : la jambe artificielle et, en prime, l’illusion de son corps intact en acceptant de combler le vide, d’être sa moitié manquante en lieu et place du membre qui lui fut arraché et qui la hante comme un membre fantôme. “Give me my leg”, le vrai en supplément du faux. Observons que Pointer se propose de se substituer physiquement à la prothèse, de même que Pip dans Moby Dick offre à Achab de s’appuyer sur lui pour remplacer la jambe d’ivoire qui s’est à nouveau rompue (chapitre129) : “ye have not a whole body, sir ; do ye but use poor me for your one lost leg, only tread upon me, sir ; I ask no more so I remain a part of ye”. Pointer lui prend sa jambe artificielle et, en contrepartie, fait l’offrande vivante de son corps : “You got me instead”(289). Il lui propose de réparer le manque déchirant en devenant son idole. Dans le cérémonial érotique tel qu’il l’imagine, il s’arroge le rôle du Dieu qui a pris corps. Or cette mascarade messianique semble à Hulga pire qu’un blasphème, une atteinte à sacro-sainte personne. Au lieu de mutualiser leur prothèse, Hulga et Pointer font donc fétichisme à part.

L’ignoble Manley Pointer qui s’est arrogé le prénom d’un poète on ne peut plus mystique (Gerard Manley Hopkins ) prend SON pied qu’il revendique comme sa propriété exclusive. Il accapare l’échasse qu’il compte enchâsser et promener comme le saint sacrement dans sa valise de commis voyageur. Il se hâte de mettre le membre postiche en croix entre deux missels dont l’un est assurément faux puisque c’est une bible creuse contenant de l’alcool, des préservatifs et des cartes pornographiques. Ce musée des horreurs portatif, cette boîte de Pandore qu’il déballe et remballe aussi vite, c’est la panoplie complète du fétichisme catholique, retourné sens dessus dessous, parodié et perverti: des obscénités en guise d’îmages pieuses, des spiritueux au lieu des saintes espèces , une mise en garde contre les maladies vénériennes qui sonne comme un commandement apocryphe pour le salut de l’âme ; bref tous les accessoires requis pour une mascarade de messe et pour rejouer sur le mode bouffon le carnaval de l’Incarnation. Pointer s’est bricolé une mystique de fortune ; il s’est inventé une religion à l’envers qui est la contrepartie de la vulgate cérébrale d’Hulga.


Notre prétendue agnostique rêvait secrètement d’une crèche New Age propice aux pâmoisons qu’elle projetait sur le paysage environnant, étrangement érotisé. Elle se plaisait à s’imaginer dans la posture de la Vierge de l’Annonciation [16], divinement transverbérée par un cône de lumière céleste, répandant sur elle la grâce sous forme d’une nuée de corpuscules :

“A wide sheath of sunlight, filled with dust particles slanted over her. She lay back against a bale, her face turned away, looking out the front opening of the barn where hay was thrown from a wagon into the loft. The two pink-speckled hillsides lay back against a dark ridge of woods” (287).

Or les béatitudes charnelles qu’elle espère tournent rapidement au jeu de massacre. Ecartelée, elle est contrainte de regarder à sa propre jambe dressée debout, loin d’elle, comme un objet devenu étrangement obscène et elle reste sur la paille, clouée sur place et réduite à hurler et à gesticuler pareille à une chose amorphe, aussi abjecte que l’homme refait d’Edgar Poe (“The Man That Was Used Up”). Elle escomptait une transfiguration. Elle est mise en pièces comme la poupée de Bellmer.

“She decided that for the first time in her life she was face to face with real innocence. This boy, with an instinct that came from beyond wisdom, had touched the truth about her. When after a minute, she said in a hoarse high voice, “All right,” it was like surrendering to him completely. It was like losing her own life and finding it again, miraculously in his.” (289)

L’abandon sincère ou simulé (le sens du geste reste indécis :”it was like losing her own life”) devait préluder au petit miracle de sa résurrection par lui, avec lui et en lui. Dans les faits, l’apothéose des sens tourne court.


Mais alors qu’elle est pour ainsi dire anéantie, un nouveau retournement se produit comme par enchantement Le texte décrit Hulga après la disparition de Pointer en des termes qui semblent d’une simplicité évangélique :

“and then the toast-coloured hat disappeared down the hole and the girl was left, sitting on the straw in the dusty sunlight. When she turned her churning face toward the opening, she saw his blue figure struggling sucessfully over the green speckled lake” (291).

Au fil de la phrase, Hulga est d’abord décrite à distance comme une femme abandonnée avant que le point de vue ne s’interiorise au fur et à mesure que son visage tourmenté par ce qui l’agite intérieurement (“churning face”) se tourne vers l’extérieur. Elle a la vision trouble d’une silhouette furtive qui, tel le Christ, semble marcher sur les eaux (“struggling successfully over the lake”). Confusément, le petit voleur qui se sauve se métamorphose en grand Seigneur. C’est rien moins que le Messie qui poind sous la figure de Pointer. Son regard halluciné le pare des couleurs du paon, autrement dit d’un corps transfiguré non pas seulement parce que le paon est le symbole de la transfiguration dans The Displaced Person”.(226) mais parce que le voleur qui lui ravi sa jambe semble être devenu tout entier la réincarnation sublime de son propre corps. La prothèse à laquelle Hulga tenait comme à la prunelle de ses yeux, avait été comparée à la plume d’un paon : “She was as sensitive about the artificial leg as a peacock about his tail”(288).


C’est donc comme si, ayant été dépouillée d’un membre postiche, elle se retrouvait transportée en un corps de gloire quasi-immatériel, comme si le ravissement de jambe artificielle préfigurait des ravissements mystiques d’un autre type [17] A-t-on affaire à un authentique miracle ou à un simple mirage dû à la survivance de croyances superstitieuses ? La scène a lieu aux alentours de midi, non pas “midi le juste”, mais justement l’heure de prédilection du démon de midi. Même estropiée et ravagée, Hulga semble hantée par le spectre du christianisme qui l’incite à se tourner vers Dieu, à corps perdu : elle croit voir une apparition divine. Est-ce l’illustration parfaite de la vision en Dieu chère à Malebranche ? ou est-ce une simple vue de l’esprit ? Délire mystique de la créature en proie à la déréliction qui s’imagine que le Sauveur est venu comme un voleur et qu’inversement le voleur peut se sauver comme le Messie ? Il ne reste plus à Hulga extatique qu’à guetter d’arrache-pied le retour de l’Epoux promis, le Second Coming érotico-transcendantal comme les grandes mystiques guettaient la Parousie où tout serait consommé selon les Ecritures [18]. En attendant, le Divin Amant putatif se retire, laissant Hulga pantelante et pantoise. Avant de s’éclipser son hypothétique voleur-sauveur mentionne l’un de ses trophées atroces : “I’ve gotten a lot of interesting things, he said. “One time I got a woman’s glass eye this way” (291). Mais même La défiguration de cette pauvre femme peut être potentiellement réinterprétée elle aussi comme une transfiguration : L’histoire prise au pied de la lettre est atroce (littéralement puisque atroce dérive vaguement du mot oeil ; du latin atrox – à l’aspect noir, formé à partir d’oculus, l’oeil). Pourtant il est loisible d’y voir un sens allégorique second, voire une signification anagogique cachée, si l’on garde à l’esprit la typologie biblique : 1 Corinthians 13 : For we know in part, and we prophesy in part. But when that which is perfect is come, then that which is in part shall be done away. When I was a child, I thought as a child ; but when I became a man, I put away childish things. For now we see though a glass darkly ; but then face to face: now I know in part ; but then I shall know even as I am known ( versets 9-13). Ou encore “through a glass eye darkly” pour citer la variante parodique de Mark Twain (dans “Fenimore Cooper’s Literary Offences”). La jambe artificielle, l’œil de verre, ces fragments de corps morcelés sont symptomatiques du corps démembré et déchu voué à être remembré et transfiguré par le corps de gloire du Christ lors de la Révélation finale. L’histoire profane qui est une série indéfinie de profanations, de viols, de vols peut toujours être spiritualisée, relevée, rendue sublime par le truchement des Saintes Ecritures, par la réinterprétation du sens littéral en une figure de style pointant vers un sens caché, absolument primordial [19]. La conversion de l’un en l’autre s’accompagne d’ une interversion de leur rapport de subordination ; le sens figuré n’est plus une extension dérivée du sens littéral premier ; c’est l’esprit de la lettre en substance.


Aussi au moment même où Hulga hébétée semble laissée pour morte , alors qu’elle est devenue pareille à un légume pétrifié et enjambe les règnes (animal, végétal et minéral), elle s’acharne à se relever. Hulga, même réduite à néant, reste incorrigiblement possédée par le désir d’être transportée au-delà et de se transcender divinement. Son regard éperdu se détourne de son corps mutilé pour se perdre dans la contemplation d’un corps qu’elle se figure être le sien sublimé. L’esprit de Dieu continue à habiter l’Amérique fantôme tandis qu’elle agonise.


En contrepoint de l’expérience indéfinissable d’Hulga partagée entre l’appel du vide et la vocation de l’extase, la fin nous replonge dans l’univers terre à terre des deux commères en train de récolter des oignons pourris. Mais, là encore, le sens du texte se dédouble diaboliquement. A un niveau littéral, l’oignon putride que Mrs Hopewell déterre semble la contrepartie désenchantée de l’union mystique rêvée [20]. Il rappelle la souillure qui est le signe distinctif de la vie ici-bas et semble invalider la parabole du grain qui meurt (“sown in dishonor[…] raised in glory”, 1 Corinthians, 15, 43) qui passe pour l’allégorie de la résurrection.


Cependant, il est également possible de voir dans cette scène d’Angélus revue et corrigée un sens spirituel second, à la lumière d’un autre passage de la Bible :

“So shall also the coming of the Son of Man be. Then shall two be in the field ; the one shall be taken, and the other left. Two women shall be grinding at the mill: the one shall be taken, and the other left. Watch therefore: for ye know not what hour your Lord doth come. But know this , that if the goodman of the house had known in what watch the thief would come, he would have watched, and would not have suffered his house to be broken up” (Matthew 24: 39-43).

Nième variante biblique sur le thème de la venue du Seigneur comme un voleur qui fait écho à d’autres paraboles sur l’élection et la sélection : celle notamment des vierges sages et des vierges folles représentant les élues et les exclues des noces mystiques (Matthew, 25).


Hulga a-t-elle le visage bouleversé (“churning”) parce qu’elle fait l’expérience de la grâce ou parce qu’elle est exposée à l’épreuve de l’effroi ? D’autres allusions bibliques compliquent l’interprétation comme ce verset extrait du livre des Proverbes :

“If thou hast done foolishly in lifting up thyself or if thou hast thought evil lay thine hand upon thy mouth. Surely the churning of milk bringeth forth butter and the vibrating of the nose bringeth forth blood, so the forcing of wrath bringeth strife”( Proverbs, 30).
La perte de la jambe semble entamer la partition des interprétations contradictoires. Indéfiniment, le sens des signes se dédouble : il est écartelé entre le littéral et le figuré, pointe tantôt vers l’ici-bas tombé en disgrâce, tantôt vers l’arrière-pays spirituel , [the] “good country” au sens de la patrie céleste de l’âme (“her true country”,214 ). En outre, chaque nouvelle, est comme prise dans un jeu de miroirs avec d’autres nouvelles analogues. Cette histoire d’unijambiste détroussée correspond par certains côtés avec celle d’un du manchot voleur de “The Life You Save May Be Your Own” ; la valise de Pointer n’est pas sans rapport avec la caisse à outils de Shiftlet. Le recueil se présente comme une série de textes fragmentaires, une suite d’éclats dont l’unité symbolique doit être postulée alors même qu’elle demeure problématique.


Pour se résumer à grandes enjambées, “Good Country People” est une histoire de dislocation qui ne peut pas ne pas évoquer l’épreuve de l’anéantissement subie par les déportés ( qui dans “The Displaced Person” sont le prototype de l’espèce humaine en voie de disparition) : la valise du commis voyageur et ses trophées obscènes, l’œil de verre, la jambe artificielle, ne font-ils pas penser aux montagnes de valises, aux monceaux de lunettes et même aux tas de jambes artificielles et d’yeux de verre retirés aux prisonniers avant d’être gazés et découverts à la libération des camps [21]. Ces vestiges dérisoires et pathétiques d’existences évanouies hantent encore notre mémoire collective. Symboliquement, la jambe artificielle d’Hulga transporte en condensé la déchirure de l’Histoire (avec une grande Hache), l’horreur autant que l’aurore des temps nouveaux : “Time is out of joint”. L’ère des hiérogamies mystiques est peut-être révolue. On est entré dans celle des marionnettes démantibulées, des “mechanical brides” déglinguées pour reprendre l’image de Marshall McLuhan [22].


Il n’en reste pas moins que cette histoire de prothèses est entée (greffée) [23] sur l’hypotexte biblique et, du même coup, son sens se diffracte spectralement: “put to death your earthly limb” (Colossians, 3,5) ; “We are members of one another” (Ephesians, 4 ,25) ; “Better that one limb perish rather than the whole body” (Matthew, 5, 25), “And whoever shall exalt himself shall be abased ; and he that shall humble himself shall be exalted” (Matthew, 23, 12), quiconque s’élève sera abaissé, etc [24]… Et ces proverbes bibliques sont du reste parasités par des dictons à l’emporte pièce qui leur ressemblent à s’y méprendre : a lie has no legs. A lie stands on one leg, truth on two.


Ceci n’est donc pas purement et simplement une jambe artificielle, un type d’ objet particulièrement déspiritualisé et disgrâcieux, car ceci n’est pas sans évoquer de surcroît la figure du corps du Christ, du legs divin. Il y a écartèlement constitutif entre le sens littéral et le sens figuré. La jambe ne cesse de se déplacer entre ces pôles. Elle est dans une position “ambulatoire” pour reprendre la formule de Tocqueville à propos de la langue américaine, une langue d’emprunt où le sens des vocables est perpétuellement mouvant [25]. Que véhicule au juste une jambe artificielle ? Et peut-on se poser la question de sa signification sans se demander inversement si tout signe n’est pas au fond une sorte de jambe artificielle ou, du moins, une béquille ? La langue anglaise a recours à l’expédient d’une métaphore pour le dire : a symbol stands for a(n allegorical) meaning. S’agit-il d’une métaphore substituée au terme propre qui serait le verbe “mean”, ou d’une catachrèse, d’une figure de style qui ne remplace aucun terme propre et qui est l’indice révélateur du caractère foncièrement prothétique de la langue courante ? Seuls sont visibles et lisibles (leg-ible) les fragments disjoints, d’une totalité symbolique fractionnée La conjointure des signes symboliques est comparable à celles de membres désarticulés et elle pose problèmecar tout signe partiel de cette totalité organique fracturée est soit la promesse de la révélation d’une recomposition à venir, soit une prothèse qui ne se rattache à aucun corps substantiel et qui dissimule l’absence fondamentale d’un substrat. Ou bien la jambe artificielle d’Hulga est la préfiguration d’une transfiguration éblouissante. Ou bien ce n’est qu’un faux-semblant qui répare fallacieusement le déchirement insensé des corps souffrants, un faux-fuyant pour conjurer l’abîme en soi. L’écriture au scalpel de Flannery O’Connor, prenant les paraboles à contrepied, s’ingénie à ne pas spiritualiser le corps, à le prendre à la lettre et à disjoindre le littéral de toute allégorie lénifiante. Claire Kahane et Patricia Yaeger entre autres [26] ont mis l’accent sur la cruauté bien réelle dont les nouvelles sont le théâtre et Flannery O’Connor la première admettait que le spectre du christianisme qui rôde et maraude n’a rien de désincarné : “Ghosts can be very fierce” [27]. La nouvelle n’escamote en rien le supplice des corps. Elle met à nu les rites réparateurs qui, tout en administrant compulsivement la torture, visent à se dissimuler religieusement les mutilations réelles. Alors que le protestantisme s’est détourné du corps du Christ pour sacraliser sa parole (ce qui revient à confisquer le corps souffrant), Flannery O’Connor, intraitable, débite des corps à mesure qu’elle débite son récit et met en pièces les fétichismes de tout poil qui réorganisent une liturgie fallacieuse grâce à quelques reliques. Le protestantisme a dénoncé ce culte idolâtre du corps propre au catholicisme mais il n’a pas pour autant dépassé le stade du fétichisme puisqu’il l’a déplacé en le reportant sur la vénération du Verbe.


Ainsi s’explique peut-être la fascination de Flannery O’Connor pour les mutilations qu’elle envisage à la fois comme l’envers d’une symbolique désincarnée et comme la contre-signature du Dieu caché, apposée à même les corps. L’amputation est une forme de circoncision qui est en quelque sorte la marque en creux, en négatif de l’Alliance du Dieu caché qui se soustrait. Se lier à Dieu c’est paradoxalement en être retranché. Pas d’oblation sans ablation. Il se pourrait que le nom que Joy Hulga croyait s’être forgé de toute pièces lui ait été “soufflé” (dans tous les sens du terme, inspiré, volé) par Dieu en personne qui se retire. C’est certes un nom disgrâcieux comme on l’a vu puisqu’il évoque une Olga métamorphosée en une sorte de baleine beluga. Néanmoins il rappelle encore vaguement Helga, le prénom russe qui signifie “sacré” et, de fait, il peut être lu comme un palimpseste du sceau divin. Hulga peut se décomposer en H / ul / ga. H dans la Bible est le graphe qui porte la griffe de Dieu, le graphe greffé sur le nom d’Abram et de Saraï en signe de l’Alliance (Genesis,17,5 et 15). Leur prénom d’origine est pour ainsi dire incisé. La lettre H insérée au coeur de leur nom (en rhétorique on appelle epenthèse l’addition d’une lettre au coeur d’un mot) est la marque du souffle divin insufflé aux êtres de chair pour qu’ils deviennent lettres vives (2 Corinthians, 3,3). Abraham, Sarah avec un H. Simultanément, Dieu institue le rite de la circoncision pour distinguer le peuple élu. Il s’agit de les séparer mais il s’agit aussi de s’unir à eux en les retranchant, même s’il y a quelque paradoxe comme l’a souligné Jacques Dérrida dans Glas, à former une alliance en tranchant dans le vif. YHWH au nom imprononçable circoncit les noms et les corps à coups de H. Le H aspiré , le glyphe de de Dieu placé en tête du mot (en rhétorique on nomme cela prosthèse ou encore prothèse) le donne à lire de gauche à droite, de “ul” en “ga”, d’alpha en oméga, du royaume des Cieux d’où tout mortel est par nature exilé (“displaced”), dès l’origine, jusqu’à la Géorgie actuelle (immatriculée Ga), son lieu de relégation. Le nom de Dieu s’incarne comme le scalpel entre dans la chair. La crucifixion est cette perforation, ce punctum, qui révèle le vide qui pointe sous le corps déchiré. Le vide qui perce sous le corps lacéré du Fils crucifié est le vrai visage du Père et il est significatif que. l’incarnation se nomme dans la tradition patristique kénose qui signifie : évidement. Prendre corps revient paradoxalement à s’évider. Tandis que le Père prend corps sous les traits du Crucifié, ce dernier, consubstantiel au Père, entame conjointement la désincarnation et pointe vers le Père en retrait. Dire que Dieu prend corps revient à dire qu’il s’incarne en son Fils et qu’il s’efface simultanément, qu’il se retire. Le nom d’emprunt de ce sacré trickster qu’est Manly Pointer pointe vers le poinçon divin : “He stopped and pointed, with a smile, to the deck of cards” (290) L’histoire édifiante que Manley Pointer raconte à Mrs Hopewell pour endormir ses soupçons est conforme à l’esprit du christianisme, même s’il affabule sans doute : “He said he was the seventh child of twelve and that his father had een crushed under a tree when he himself was eight year old. He had been crushed very badly, almost cut in two and was practically not recognizable” (280). Le père écrasé par un arbre qui le fend en deux fait penser à cet arbre qu’est la croix qui divise le divin en deux au point de le rendre méconnaissable. Le visage du Fils sur la Croix c’est le masque du Père incorporel qui est absent, en retrait alors que même que son fils comparaît. Le visage du Fils est aussi la marque du Père invisible qui se détourne et se dérobe. Le visage est encore un masque et la défiguration est sans fin et sans fond.


Si Dieu se déguise en voleur, assume le masque du larron, c’est que le propre de Dieu est non seulement de se donner pour ce qu’il n’est pas mais d’être sans propriétés. Il est celui qui est, sans l’être, plus ou moins semblable et dissemblable de façon concomitante puisqu’il subsume le spectre infini de ses créatures. Alors la divine comédie risque fort d’être un théâtre d’ombres, un interminable défilé de simulacres sans substance où Dieu n’est plus le garant fondamental de la vérité, l’Etre Suprême exalté par St Thomas d’Acquin entre autres comme le fondement absolu, puisque lui aussi donne dans la mascarade et qu’il inaugure la ronde des rôles à l’infini. Il se pourrait qu’il n’y ait que des prothèses sans corps, des masques sans visage, des signes sans substance.


Dans la nouvelle, l’hypothétique sauveur-voleur, Manley Pointer dont on ne sait pas grand chose sauf le nom n’est pas sans rappeler certains traits d’autres personnages : son prénom est l’anagramme de celui du mari de Carramae, Lyman. Lyman/ Manl(e)y, les identités s’échangent se transfèrent d’un figurant à l’autre. Comme Pointer, Mrs Freeman a le regard acéré (“steel-pointed eyes”, 275) et son nom semble empiéter sur celui de Manley ; ensemble ils forment l’étrange mutant hermaphrodite, Free-man-ley-Pointer. Manley Pointer n’est il pas après tout l’anagramme de namely in trope ? Dans le kaléidoscope des identités fictives, le nom de Dieu, si tant est qu’il existe, ne s’exprime qu’en figures.


Notes

[1] Luke, 12, 35-48 et 1 Thessalonians 5, 1-11

[2] Jean-Louis Chrétien, Lueur du secret, Paris, l’Herne, 1985, pp.224-227

[3] Jean-Luc Marion, Dieu sans l’être, Paris, Communio-Fayard, 1982, chapitre III

[4] “The religion of the South is a do it yourself religion” (Lettre à J Hawkes du 13 sept 1959, Collected Works, Library of America, 1107)

[5] Ralph Wood commente ce passage qui est une citation tronquée de “Qu’est-ce que la métaphysique”(1929) dans Flannery O’Connor and the Christ-Haunted South, Eerdmans Publishing, 2004, 199-204

[6] Joanne Halleran McMullen a relevé ce jeu de mots dans Writing Against God: Language as Message in the Literature of Flannery O’Connor, Mercer University Press, 1996.
[7] A Defence of Poetry, 1821.

[8] Voir le bel article de Nicole Ollier, “Les objets ont-ils une âme ?” in Annick Duperray (ed.), The Complete Stories: Flannery O’Connor, Ellipses, 2004, p.79.

[9] Ch. 24, The Confidence Man: His Masquerade, Oxford University Press, 1989, p.178.

[10] Je m’inspire ici de l’analyse détaillée de ces variations subtiles faite par Gwen Le Cor dans son article : “Storytelling and the interplay of voices in Flannery O’Connor’s Short Stories”, in Marie-Claude Perrin Chenour (ed.) Flannery O’Connor. The Complete Stories, Editions du Temps, 2004, 196-197. Voir aussi le commentaire de Claude Fleurdorge sur ce syntagme, “Good Country People ou la visite à la vieille dame : examen d’une pratique signifiante”, Delta, n°2, Mars 1976, pp.91-92.

[11] Si “chicken” a entre autres le sens de “puceau” en argot, il est inutile d’épiloguer sur les sous-entendus gravaleux de “eat”.

[12] André Bleikasten l’a fait observer en une formule lumineuse : “Rien de plus obscène que ce viol par privation. Car en cette béance comblée par une prothèse, là où sa chair fut amputée, où son corps lui faisait défaut, cette matérialiste militante avait logé son âme”. Flannery O’Connor. In Extremis. Paris, Belin, 2004, 53-54.

[13] Marshall Bruce Gentry a rapproché les deux noms dans Flannery O’Connor’s Religion of the Grotesque, University Press of Mississippi, 1986, p.116 et il précise : “It is also interesting that “Malebranche” is the name of the demons in the eigth circle, fifth pouch of the Inferno (Cantos 21-23). In Canto 22 the Malebranche try to tear a Barrator apart (by tearing his limbs off)”

[14] On pense à la poupée de Hans Bellmer (1936) à qui il manque une jambe.
Photographie extraite des Jeux de la Poupée, in Anne Egger, Le Surréalisme, Paris, Scala, 2002, p.100.

[15] La formule revient par deux fois au moins dans les essais de Flannery O’Connor. “I think it safe to say that while the South is hardly Christ-centered, it is most certainly Christ-haunted” (“The Grotesque in Southern Fiction”, Collected Works, Library of America, p.818, “The Catholic Novelist in the South”, Collected Works, p.861).

[16] Voir l’Annonciation attribuée à Fra Angelico au Musée du Prado à Madrid. On en trouvera une reproduction notamment dans le livre d’entretiens de Daniel Arasse, Histoires de Peintures, Denoël, 2005, illustration 17.

[17] Voir David Havird, “The Saving Rape: Flannery O’Connor and Patriarchal Religion”, Mississippi Quarterly, Winter 1993-1994, 47 (1), 15-26.

[18] Voir Jean-Noël Vuarnet, Extases féminines, Arthaud, 1980 ; Le Dieu des femmes, L’Herne . Un article ancien de Libération (1er Février 1990), intitulé “Les Belles du Seigneur”, rappelle les propos d’ Angèle de Folino saisie par le Christ : “Debout près de la croix, je me dépouillai de tous mes vêtements et m’offris à lui. Il me dit : je vais te remplir et te quitter. Il ne s’en alla pas tout d’un coup, il se retira lentement, majestueusement, avec une immense douceur”. Joris-Karl Huysmans a décrit les délicieux supplices que le Divin Amant offrait à Sainte Lydwine de Schiedam qui pour respecter le voeu de virginité pria Dieu de l’affliger de quelque difformité et de l’enlaider. Ce voeu fut exaucé : “L’avenance même de ses traits disparut dans les saillies et les vides d’une face qui, de blanche et rose qu’elle était, verdit puis se cendra […] puis ce fut le mal redouté du Moyen Age, le feu sacré ou le mal des ardents, qui entreprit le bras droit et en consuma les chairs jusqu’aux os ; les nerfs se tordirent et éclatèrent, sauf un qui retint le bras et l’empêcha de se détacher du tronc. […] Le crâne se fendit de la racine des cheveux jusqu’au milieu du nez ; le menton se décolla sous la lèvre inférieure et la bouche enfla : l’oeil droit s’éteignit […] Après une esquinancie qui l’étouffa, elle perdit le sang, par la bouche, par les oreilles, par le nez, avec une telle profusion que le lit ruisselait”. Michel de Certeau s’est intéressé à d’autres cas de possession mystique (Louise du Néant, soeur Jeanne des Anges), notamment dans La fable mystique, Gallimard, 1982.

[19] Voir à ce sujet l’article d’Isabelle Boof-Vermesse, “‘La lettre tue’ : littéralité et allégorie dans les nouvelles de Flannery O’Connor” in Marie-Claude Perrin Chenour, Flannery O’Connor, The Complete Stories, Editions du Temps, 2004, pp-109-126

[20] Ces oignons (“onions”) c’est ce qu’il subsiste des “opinions” courantes échangées par les deux commères et usées jusqu’au trognon: “well, other people have their opinions too”(273). Des “opinions” de la conversation inaugurale aux “onions” de la fin, le raccourci est saisissant. Les mots, comme les jambes qui flanchent, ont tendance à tomber en syncope, comme si la langue fourchait et se mettait à claudiquer. On peut se demander si, à l’issue de ce Pilgrim’s Progress parodique (voir Fleurdorge, Delta, mars 1976, p.125), les “onions” ne seraient pas ce qu’il subsiste de Bunyan, une fois amputé de sa prothèse (au sens rhétorique du terme), la lettre B rajoutée au radical. Ôtez à Bunyan sa prothèse et il se restera plus de lui que l’oignon pourri que son nom glorieux enveloppait. Décidément, la langue tangue et, de lapsus en lapsus, n’en finit pas de glisser.

[21] Le musée d’ Auschwitz expose ces reliques. Les images des charniers hantent non seulement Mrs Shortley (196, 209) mais Mrs Cope (190) et Flannery O’Connor bien sûr : “When tenderness is detached from the source of tenderness [Christ], its logical outcome is terror. It ends in forced labor camps and in the fumes of the gaz chamber”, “Introduction to A Memoir of Mary Ann”, Collected Works, Library of America, 830-831).

[22] Jon Lance Bacon mentionne à plusieurs reprises l’influence de l’essai de Mashall Mc Luhan, The Mechanical Bride, dans son ouvrage, Flannery O’Connor and Cold War Culture, Cambridge University Press, 1993.

[23] “Entez. Ce mot est de grand poids.[…] Il ne signifie pas seulement conformité d’exemple mais emporte une conjonctionsecrète par laquelle nous sommes tellement unis à luy [le Christ] que nous donnant vie par son Esprit, il fait passer et comme descouler sa vertu en nous […] En cest entement spirituel non seulement nous tirons de Christ vigueur, et comme une moëlle de vie, mais nous passons de nostre nature en la sienne”, Calvin, Commentaires de l’Epître aux Romains, VI, 5, cité par Jean-Pierre Josua, Seul avec Dieu. L’aventure mystique, Paris, Découvertes Gallimard, p.150.

[24] L allusion aux conserves de figues et aux cèdres prend tout son sens si l’on se souvient de l’allusion au figuier qui porte ses fruits au chapitre 24 de l’évangile selon St Mathieu (24, 32) et au cèdre que Dieu abat au chapitre 31 du livre d’Ezéchiel (31, 3).

[25] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, II, chapitre XVI, Folio Gallimard, p.98.

[26] Claire Kahane, “Flannery O’Connor’s Rage of Vision” in Melvin J.Friedman and Beverly Lyon Clark, Critical Essays on Flannery O’Connor, Boston, GK.Hall, 1985, pp.119-130.
Patricia Yaeger, “Flannery O’Connor and the Aesthetics of Torture” in Sura P.Rath et Mary Neff Shaw, eds, Flannery O’Connor: New Perspectives, Athens, University of Georgia Press, 1996, pp.183-206.

[27] L’expression revient également deux fois sous la plume de Flannery O’Connor dans les essais précédemment cités : “Ghosts can be very fierce and instructive”(Collected Works, p.818, 861).