” Expeausition [1] ” : Parker’s Back ou l’écriture à l’épreuve de la surface


par : Cécile Roudeau


“Parker’s Back” est un texte écrit sous le signe de la peau – peau que l’on habille ou déshabille ; que l’on cache ou que l’on expose ; que l’on perce, transperce ou que l’on peint ; que l’on incise, que l’on écrit, que l’on inscrit et que l’on impressionne, que l’on retourne aussi, comme un gant. Histoire d’une peau tatouée, historiée qui devient peau souffrante, cet ultime récit de Flannery O’Connor, achevé dans le lit d’hôpital où elle se mourait d’un lupus, brille d’un soleil noir, qui embrase le texte, aveugle les personnages et peut-être certains lecteurs, qui n’ont su y voir qu’une sombre récriture des mystères de la foi. André Bleikasten le notait déjà dans son article “Writing on the Flesh: Tattoos and Taboos in ‘Parker’s Back’” : il y a plus à voir et plus à lire sur le dos de Parker qu’un nouveau catéchisme, dans lequel on a trop tendance à ranger les textes de cet écrivain qui ne faisait aucun mystère de son catholicisme [2].


Certes, un indéniable tropisme de la profondeur oriente l’écriture de Flannery O’Connor : elle-même le revendique, pour qui l’écrivain, et l’écrivain du Sud en particulier, se voit forcé de toujours porter son regard au-delà de la surface (“to make his gaze extend beyond the surface, beyond mere problems, until it touches that realm which is the concern of prophets and poets” [3]). Qu’il soit pourtant permis de douter : n’est-il donc pas d’autre salut pour les lecteurs d’O’Connor que d’aller scruter les dessous du littéral pour y trouver l’expérience du sens ? Refusant de s’arrêter aux injonctions de l’auteur, cet article se propose de scruter la surface d’un texte-peau, de faire de ce récit une lecture rapprochée, qui ne se veut superficielle que pour tenter de suggérer que la surface, chez O’Connor, est précisément le lieu du sens et des sens, le lieu où se manifeste, s’expose l’impénétrable, le mystère qui fait peut-être toute la beauté de cette écriture.


“Parker’s Back”, texte-testament écrit à fleur de peau, pourrait bien être le tombeau de cette dialectique affichée, imposée presque, entre surface et profondeur ; il s’agira donc de voir ce qui se joue du sens et des sens, quand on choisit, au lieu de lever les yeux au ciel ou de les plonger dans l’abyme insondable, d’éprouver la surface et peut-être de la laisser nous toucher.



I Le leurre de la profondeur ou l’écriture au miroir


La lecture en trompe-l’œil


Parker’s wife was sitting on the front porch, snapping beans. Parker was sitting on the step, some distance away, watching her sullenly. She was plain, plain. The skin on her face was thin and drawn as tight as the skin on an onion and her eyes were gray and sharp like the points of two icepicks. (510) [4]

Dès le premier paragraphe, deux lectures sont à la fois proposées et renvoyées dos à dos : la lecture-effeuillage qui, de dévoilements en dévoilements, finirait par divulguer le sens et la lecture-pique à glace qui viendrait percer la surface textuelle, jusqu’au cœur. Tout le récit, en effet, ne cesse de confronter ces deux modalités de l’interprétation, faisant miroiter aux yeux du lecteur une épiphanie qu’il s’attache en même temps à retarder. Le texte tour à tour aguiche le lecteur, habille et déshabille son objet, dont il fait un objet de désir, ou pointe, tels les yeux ou les doigts de Sarah Ruth, vers ce quelque chose qui échappe, à l’intérieur, comme s’il était possible de l’atteindre en épluchant les apparences comme on éplucherait l’oignon inaugural ou la maison de celle qui lui ressemble : “a peeling [5] two-room house” (511). Si Flannery O’Connor donnait pour principe de son écriture de montrer avant que de dire [6], il semble que, s’agissant du dos de Parker comme de “Parker’s Back”, ce qu’elle nous montre n’est autre qu’un recouvrement, négatif d’une exhibition avortée : “She [Parker’s employer] had also asked him to wear his shirt when he worked; Parker had removed it even though the day was not sultry; he put it back on reluctantly.” (511) La peau, que Parker prenait plaisir à découvrir, se recouvre d’une autre peau, ici chemise, bientôt tatouage multicolore qui ne perce, n’ouvre le corps que pour mieux le couvrir. À vouloir chercher sous la surface, sous la peau, le lecteur trop curieux risque bien de se perdre dans un labyrinthe feuillu, où une surface en cache une autre, le voile retombant sur un autre voile, la peau sur une autre peau. Supplice de l’oignon…qui tente le regard mais fait pleurer les yeux : dans les enchâssements du texte ne se révèle qu’une parodie de pénétration, une histoire de pénétration impossible ou manquée, plus obscène encore sous ses voiles qu’à découvert.

Le texte de la nouvelle se présente en effet comme une série de levers de rideaux : un passé cède la place à un autre, puis à un autre encore – le récit, constitué d’une série d’anamnèses enchâssées, ne rattrapant le moment de la diégèse qu’en son mitan (p. 520). Au seuil de la nouvelle, un porche vient tenter les regards du lecteur : “Parker’s wife was sitting on the front porch floor…”. Mais c’est déjà une ouverture en trompe-l’œil : l’intérieur que nous a fait miroiter l’incipit ne nous sera dévoilé qu’à l’extrême fin du récit, et encore, fort brièvement. Le lecteur, forcé d’entrer dans le récit à reculons, se trouve en fait bien vite confronté à un autre début, qui promet d’ouvrir cette fois sur un épisode passé de la vie de Parker : “This ugly woman Parker married was his first wife. …” (511) ; et le texte de nous conter l’histoire de la rencontre inopinée de Parker et de Sarah. Flash-back, retour, autre lever de rideau : c’est au moment où, en se recouvrant, la peau se dérobe au regard et à la lecture (juste après les réprimandes de l’employeuse, impatiente de voir Parker se rhabiller) que le texte consent enfin, du moins en apparence, à lever un voile, qui pourtant ne nous laissera pas pénétrer bien loin.
“Parker had an extra sense that told him when there was a woman nearby watching him. After he had leaned over the motor a few minutes, his neck began to prickle.” (511) To prickle : picoter ; de la même racine que le verbe “to prick“, “to make a tiny hole in something with a sharp point ; to make a whole in the skin so that it hurts or bleeds“. Parker serait-il pénétrable ? Sous le regard de Sarah Ruth, dont les yeux aigus, acérés (on le sait depuis le premier paragraphe), sont faits pour transpercer, Parker a tout l’air d’une surface à pénétrer. Prick : phallus. Viol ou volupté, le texte ne dit pas. La seule certitude, c’est que Parker, lui, ne pénètre rien : “He cast his eye over the empty yard and porch of the house. A woman he could not see was either nearby beyond a clump of honeysuckle or in the house, watching him out of the window.” (511) S’il a bien l’intuition, presque sensible, de l’invisible ou plutôt de l’invu, Parker ne cherche pas à pénétrer le mystère ou la maison ; il préfère devenir leurre, objet du regard et du désir cachés à l’intérieur. Il parviendra de fait, en prétendant s’être blessé à la main, à capter le regard de Sarah Ruth ; pourtant, la femme aux yeux-pique à glace devra encore se contenter, et nous avec elle, de l’opacité d’une autre surface qui, si aguicheuse soit-elle, n’en reste pas moins frustrante : la paume que lui tend Parker est désespérément intacte et la surface tatouée à son revers aveugle suffisamment les yeux de l’incrédule pour qu’ils ne percent point à jour la tromperie. Exposés aux premiers tatouages, les yeux aigus (sharp, ici répété) de Sarah Ruth refusent finalement d’en voir plus, offusquant ainsi ceux du lecteur, soumis à l’arbitraire de la focalisation. “You ought to see the ones you can’t see” (511), s’enhardit le coquin ; mais la promesse d’un dévoilement se solde, une fois de plus, d’une fermeture de la focale. Le lecteur en est quitte pour un autre lever de rideau sur nouvelle couche temporelle qui, elle aussi, promet ses monts et ses merveilles, montrés, cachés : “Parker was fourteen when he saw a man in a fair, tattooed from head to foot.” (512)


La vision du forain, de son corps presque entièrement tatoué, semble révéler Parker à lui-même. A l’instar de l’homme peint, l’adolescent n’aura de cesse de couvrir sa peau de tatouages, que le texte, à l’inverse, se plaît à découvrir, nous dévoilant aussi certains traits de son caractère, avant de se reprendre bien vite : “After a month or two in the navy, his mouth ceased to hang open. His features hardened into the features of a man.” (513) Au moment où l’on pouvait croire qu’il allait nous ouvrir son cœur, Parker se referme, se raidit et redevient impénétrable. Sarah Ruth aura beau user de toute une gamme de dangereux instruments, allant jusqu’à lui lancer au visage, pour interrompre le flot de ses jurons, cet outil entre la griffe, le pied de biche et le grappin que l’anglais appelle “bristling claw”, Parker, l’homme endurci, dont le corps, bien moulé dans ses pantalons de petit mousse, semble avoir connu d’autres effractions lors de ses années de marine, ne semble plus pouvoir s’ouvrir qu’à une improbable pénétration de lui-même par lui-même, ou plus précisément par sa propre surface :

After his furloughs [7], he didn’t go back to the navy […] His dissatisfaction, from being chronic and latent, had suddenly become acute and raged in him. It was as if the panther and the lion and the serpents and the eagles and the hawks had penetrated his skin and lived inside him in a raging warfare. (514)

Sous l’effet d’une insatisfaction devenue aussi pénétrante que les yeux de Sarah Ruth, la surface se retourne contre elle-même – les images peintes sur la peau se livrant désormais sous la peau ou sur son envers une guerre sans merci : “The navy caught up with him, put him in the brig for nine months and then gave him a dishonorable discharge” Comme pour rattraper l’irrattrapable, la marine le reprend pourtant en son sein, couvrant ses frasques sous les apparences d’une nouvelle naissance – dans la poche utérine du brick il restera neuf mois – avant d’en accoucher ou de l’excréter salement à la surface de la terre, tel Jonas dont l’image est reprise un peu plus loin (527), bien loin de profondeurs qui ne peuvent, semble-t-il, que relever ici du fantasme.

Pris à son propre jeu et entre plusieurs fronts, comme le texte se plaît à le suggérer, qui répète ostensiblement le mot front à quelques lignes d’intervalle – “he would get in front of [the mirror]” ; “the front of Parker” ; “the space on the front of him” (p 514) -, O. E. Parker, pris au piège de la surface, devient surface lui-même, homme bi-dimensionnel, espace qui ne peut se remplir (fill up [8]) que sur un seul plan, et ne peut ” contenir ” qu’au sens figuré [9] une insatisfaction pris dans les rets linéaires d’un nouveau tatouage.


Si “Parker’s Back” fait donc tout d’abord miroiter aux yeux du lecteur un secret dont la fleur pourrait être découverte grâce à un effeuillage délicat, ou une ardente pénétration du regard, le texte, par de savantes mises en scène, ne tarde pourtant pas à renvoyer dos à dos ces deux lectures, telles deux leurres cosmétiques auxquels il faudrait savoir résister. Au pays de Parker, le regard n’épluche ni ne pénètre : il ne peut plus que se regarder lui-même, en miroir.

“look” : le point aveugle à la croisée des regards


…his eyes […] were the same slate-color as the ocean, and reflected the immense spaces around him as if they were a microcosm of the mysterious sea. (514)

Si les yeux de Sarah Ruth sont perçants, ceux de Parker sont surface réfléchissante, couleur ardoise, des yeux que l’on dirait en attente d’être écrits, si ce n’était le corps qui, chez O. E. Parker, se couvrait d’impressions. Le regard de Parker est donc miroir, miroir face au miroir du monde, miroir qui, ainsi que le laissent entendre les chatoyantes homophonies du texte, ne peut réfléchir que le microcosme mystérieux du voir : “the mysterious sea”. Mais la spécularité, ici, n’aliène ni ne révèle à lui-même ce malheureux Narcisse, puisque le texte semble le destiner, avant même de le désigner bifrons, à ne voir de lui-même qu’un regard obsédant (“he would….study his overall look“, 514), jouant de la même ambiguïté un peu plus loin, quand Parker est décrit, assis sur le perron des Cates, absorbé par la vue qu’il a sous les yeux (“looking at the view”, 516 ; ” regardant la vue. “) Avant donc que de devoir traquer ce qui lui reste de surface dans l’image doublement reflétée de son dos, Parker semble déjà condamné à la prison circulaire du voir, une prison qui ressemble fort à celle qu’il va de lui-même tracer au sol, le jour fameux où, en quête d’un dessin à se faire tatouer dans le dos, il en oublie l’arbre que la précautionneuse propriétaire n’avait pourtant pas manqué de lui signaler, au milieu du champ.


“[The old woman] had pointed it out to Parker as if he didn’t have eyes and told him to be careful not to hit [the tree] …” (520) Comme on la comprend ! L’homme aux yeux-miroirs ne semble pas l’ouvrier idéal ; et le texte de confirmer les intuitions de la maîtresse des lieux : “Parker began at the outside and made circles inward toward it […] As he circled the field, his mind was on a suitable design for his back.” Traçant au sol, faute de pouvoir les tracer sur son dos, les cercles concentriques qui préfigurent peut-être l’œil souverain du Christ pantepopte, voilà donc Parker, entre deux regards, deux soleils qui le prennent en étau. “The sun, the size of a golf ball, began to switch regularly from in front to behind him, but he appeared to see it both places as if he had eyes in the back of his head.” Reflet, sans doute un brin irrévérencieux, du texte vétérotestamentaire où Moïse, laissant ses sandales selon l’ordre du Seigneur, se prosterne devant le buisson ardent [10], cet épisode va aussi, fidèle en cela à son modèle, en préfigurer un autre : tout comme le buisson ardent, selon une lecture typologique de la Bible, s’interprète comme le type de la Transfiguration, l’arbre de feu, dans le récit d’O’Connor, vient annoncer la rencontre avec l’Image du Christ glorieux dans le livre de tatouage. Mais qu’est-ce à dire ? Dans ce jeu de renvois, dans ce vertige éblouissant où une spécularité en remplace une autre, la lumière du sens, elle-même, s’obscurcit, tout comme l’œil s’aveugle ou s’évide de se diffracter sans cesse : au fil du texte, le regard de Parker se creuse ; il devient cette créature aux yeux caves (“hollow-eyed creature”, 521 ; “his eyes cavernous”, 520) et au regard vide (“vacant”, 525). Qu’il soit ici confronté à l’arbre en feu, ou, quelques pages plus loin, qu’il se retrouve face à face avec les yeux voraces, irrésistibles, de l’image sans profondeur du Christ byzantin (“the haloed head of a flat stern Byzantine Christ with all-demanding eyes”, 522), Parker, tout pantelant, n’a guère le choix que de se laisser choisir par ces yeux qui le regardent et à qui il lui faut obéir. A la fois sujet de son regard et objet du regard qui rend possible tout regard, point de vue absolu, référence de toute visibilité, Parker, l’homme qui a vu le voir, à contrecœur et à son corps défendant, l’homme qui a vu, l’espace d’un instant, dans le miroir que lui tendait l’artiste, les yeux qui voient le regarder (se regarder), est-il donc autre chose qu’une “inter-faces”, emprisonné au sein de surfaces qui ne peuvent que lui faire miroiter une illusoire profondeur ? Celui qui a vu le reflet du reflet de la copie de l’image des yeux du Christ, semble de fait avoir, à la fois, tout vu et rien vu : la saturation du voir va ici de pair avec l’invalidation du regard qui ne peut plus que se refléter – un miroitement que le texte à la fois reproduit et met en œuvre, en jouant d’une écriture au miroir et en devenant le miroir de lui-même.


L’écriture au miroir



The artist began where he left off. “One thing I want to know”, he said presently as he worked over Parker’s back, “why do you want this on you? Have you gone and got religion? Are you saved?” he asked in a mocking voice. (524)

L’artiste, qui dans “Parker’s Back” travaille sur le dos de Parker, s’interroge. À une majuscule près (mais les miroirs, chez O’Connor, sont miroirs déformants) le texte se réfléchit lui-même sans pour autant laisser affleurer d’improbables secrets – trompeuse et paradoxale “mise en abyme” dans un texte-peau qui ne s’incise, ne s’inscrit, que pour mieux se voiler. Dans “Parker’s Back”, l’artiste n’a pas le dernier mot ; le texte s’amuse même à le réduire au silence et l’éloigner de toute confidence. “[Parker] decided he had told the artist enough of his business. Artists were all right in their place but he didn’t like them poking their noses into the affairs of regular people.” (525). L’épreuve du miroir ne fait donc miroiter aux yeux du lecteur qu’une profondeur de bien mauvais aloi. Au cœur de la fiction et au mitan du texte ne se fait jour qu’une autre “fiction”, un façonnement, qui est celui du texte lui-même, à l’encre et au stylo. On l’aura compris : ici, rien ne se livre ; il n’y a rien à voir, à moins, précisément, que tout se dise dans cette injonction à voir (“look”), toujours doublée d’un refus, dans ce retrait du sens, infini et paradoxal, au fond d’une surface vouée, semble-t-il, à n’être rien d’autre que matière à réflexion. Et s’il n’y avait donc rien à voir que le voir ? S’il n’y avait rien à creuser, à percer, que la peau – cette peau que le texte colore et arbore, cette peau qui est le texte et que le lecteur aurait grand tort de négliger, surface chatoyante, moirée, ocellée telle une queue de paon, qui se mire en elle-même en un jeu incessant de lettres en miroir ?


À qui veut bien ouvrir les yeux et caresser sa surface, le texte s’amuse en effet à lancer des œillades – doublons, reflets, autant de petits miracles d’insolence offerts aux lecteurs complices de ces plaisirs spéculaires : “She was plain, plain.”, peut-on lire dès le premier paragraphe, qui bientôt récidive : “She was pregnant and pregnant women were not his favorite type” (510). Un lecteur attaché à chercher sous la trame un sens qui n’y est peut-être pas, pourrait certes laisser filer ces “galaxies” miniatures qu’O’Connor aimait voir sur la queue (tail/tale) des paons, ces jeux de mots qui, tels des mirages, au détour d’un paragraphe, vous dévisagent et vous laissent pantois [11]. Lorsque Parker, examinant son âme, comprend que son tissu arachnéen ne trouvera de cohérence que si lui-même accepte d’obéir aux yeux impérieux inscrits sur son dos, la phrase vient refléter son emprisonnement spéculaire (“The eyes that were now forever on his back were eyes to be obeyed”, 527), même si, insolent, il déjoue, dans le même temps qu’il l’instaure, le rêve d’un moi enfin unifié. Le texte, en effet, voit double ou triple, tandis que les yeux, qui sont aussi des “je” en puissance (eyes/Is), viennent se mirer dans le verbe même qui dit l’obéissance qu’on leur doit (ob-eyed) ; restent alors entre ces yeux disposés en miroir (eyes to Be oBeyed) deux “b” (tels deux dos, peut-être) qui encerclent – inversé – le chiffre du personnage : “e o” pour O. E. (Parker). Est-ce là trop jouer avec les mots, scruter à l’excès une lettre aux sortilèges infinis ? “The writer should never be ashamed of staring”, écrit O’Connor dans Mystery and Manners (84), après avoir enjoint l’écrivain à tirer avantage de tout ce qui l’aide à voir, à regarder [12] ; le lecteur, lui aussi, semble invité à exercer son regard, à l’endroit, à l’envers, quitte à laisser se retourner la surface historiée de ce texte-peau.

II Jeux de surface : la peau et son envers


Il ne s’agit pas ici de réfuter toute lecture anagogique du texte, celle qui, selon les mots d’O’Connor, se rapporte ” à la vie divine et à notre participation à cette vie. ” (Mystery and Manners, 80), mais d’essayer de ne pas se laisser obnubiler par la seule profondeur que, par transparence le texte expose et impose – le signifié dématérialisé laissant alors transparaître un sens prédéterminé. “The old woman was the kind who would not cut down a large old tree because it was a large old tree” (520), lit-on avant l’épisode de l’arbre de feu. ” Ceci n’est pas un arbre “, semble dire le texte, moins dans un souci réflexif de mise en garde contre les vertiges de la représentation que tel un index qui montre et tente de prescrire un sens et une marche à suivre, voie sacrée qui a tout l’air ici d’un sens unique. Pourtant, Parker hésite, et le texte avec lui : “he scrambled backwards” ; “he move toward it, still sitting, strolled backwards” ; “and began a forward-bent run” (520-521). Dans un sens, puis dans l’autre, les sens et le sens vacillent à la surface d’un texte qui ose se montrer texte, texture, tissu à parcourir, à retourner, plus encore qu’abyme recelant d’improbables profondeurs.


La texture du texte



Effets de trame : sur la peau du texte comme sur le dos ocellé de Parker, les lignes s’arabesquent, les comparaisons se filent, les motifs se répondent dans un dessin qui, si subtil soit-il, n’en affleure pas moins sur la toile, et sur la peau, visible à l’œil nu. À l’image du patron complexe aux couleurs éclatantes [13] que Parker distingue sur le corps de l’homme aux tatouages, le texte s’ex-peau-se, sans pudeur, et exhibe sa façon :

The man, who was small and sturdy, moved about on the platform, flexing his muscles so that the arabesque of men and beasts and flowers on his skin appeared to have a subtle motion of its own. Parker was filled with emotion, lifted up as some people are when the flag passes. (512-13)

Le mouvement subtil du polyptote (de “moved about” à “motion”, puis, dans la phrase suivante, “emotion”) anime le texte et laisse voir la trame :

He was a boy whose mouth habitually hung open. He was heavy and earnest, as ordinary as a loaf of bread. […]
Parker had never before felt the least motion of wonder in himself. Until he saw the man at the fair, it did not enter his head that there was anything out of the ordinary about the fact that he existed.

Parker, l’homme ordinaire ne conçoit même pas l’extra-ordinaire de son existence, tandis qu’entre les deux occurrences du mot ordinary surgit, une dernière fois, bouclant la boucle, ou nouant la tresse, le substantif motion qui, temporairement du moins, vient arrêter le fil. Le mot “ordinary” réapparaîtra un peu plus tard, donnant corps cette fois au petit juge de comté dans les griffes duquel le texte jette le personnage, toujours trop ordinaire sans doute, de Parker. “They were married in the Country Ordinary’s office because Sarah Ruth thought churches were idolatrous.” (518)


Le tissage est serré, qui finit par prendre au piège Parker lui-même, incapable d’échapper à son sort textuel, empêtré dans les rets d’un texte-cauchemard qui, de la même façon, inscrit son dos au programme dès la deuxième page du récit. On voit d’abord l’infortuné Parker, on s’en souvient, contraint de rendosser sa chemise (“put it back“, 511 ) avant de le retrouver, quelques lignes plus tard, sur le dos (“he fell backwards“, 511), victime d’une chute qui en annonce d’autres. Back : le mot se décline sous toutes ses catégories grammaticales et presque jusqu’à épuisement de sens. Après une nouvelle culbute (“he found himself flat on his back on the ground” (518)) que lui valent ses avances un peu trop pressantes à l’arrière du camion (“in the back of it”, 518), Parker s’aperçoit enfin – le lecteur est presque soulagé de l’entendre – qu’il ne lui reste plus désormais de surface disponible que le dos : “the only surface left on him now was his back” (518). Pourtant le jeu continue, le sens se nouant et se dénouant à même la peau du texte : l’artiste tatoueur habite bien sûr au fond d’une ruelle (“a back street”, 521) et les bondieuseries les plus récentes parmi lesquelles Parker doit choisir le modèle à tatouer se trouvent, on ne s’en étonnera plus, à la fin de l’ouvrage (“in the back“, 522) ; c’est là donc où commence Parker (“beginning at the back“), parcourant le livre à rebours (“turning rapidly backwards“) pour s’arrêter enfin sur celle des images qui semble, de ses yeux, lui dire – le lecteur est à bout – “GO BACK”. Irrévérencieux, jouant avec les mots – tous les mots -, le texte effiloche le sens au détour de polysémies burlesques qui osent, tour à tour, désacraliser le patronyme – il n’est pas jusqu’au nom de Parker, dont le récit a pourtant proposé une exégèse canonique (O. E pour Obadiah Elihue), que l’homophonie facétieuse (“Parker parked“, 518) ne désacralise – ou mettre en branle la signification même du titre de la nouvelle : “I’m back” (528), s’exclame Parker à la fin du texte, finissant de déstabiliser le malheureux lecteur qui alors, ou enfin, peut lire, sous ou sur le ” Dos de Parker “, ” Parker : le retour ” [14].


Si l’un des enjeux du récit d’O’Connor est l’incarnation de la lettre – Parker acceptant enfin, dans les dernières pages, en prononçant et rendossant son nom, de lui donner ou lui redonner corps, le texte, à rebours et simultanément, semble désincarner le patronyme, tout comme il s’amuse à vider les mots d’une trop pesante chair pour en faire des mots-peaux, enveloppes sonores ou cosmétiques, à retourner comme un gant.


Economie carnavalesque de l’écriture : l’avers et le revers de la peau



Carnaval, de l’italien, carnelevare, ôter la chair… Contre toute attente peut-être, l’écriture d’O’Connor, dans ce récit du moins, est une écriture carnavalesque où le renversement des valeurs et des genres (au sens de gender [15]) s’accompagne d’un “
retournement “, voire d’un détournement des mots. Si ” Parker’s Back ” est bien l’histoire d’une conversion, les mots, plus facilement encore que Parker, se retournent comme le gant de chevreau de Twelfth Night, cette autre comédie du renversement, où les lettres dansent leur quadrille désincarné sous les yeux ébahis du puritain Malvolio, où les phrases, comme les identités et les genres, se prennent dans un sens, et, à en croire Feste, surtout dans l’autre : “[H]ow quickly the wrong side may be turned outward”, lance-t-il à Viola/Cesario, (III, 1, 12). Et si O’Connor s’était souvenue de la sentence du fou ?


“I got most of my other [tattoos] in foreign parts”, s’engaillardit Parker (512), au début d’une scène d’exposition, qui menace de ne rien exposer du tout, à moins que le lecteur lui-même ne s’enhardisse, et, retournant le mot, délaisse les terres lointaines (foreign parts) pour les contrées à peine défendues d’une sexualité à fleur de peau et de texte. “You ought to see the ones you can’t see”, continue Parker, vantant moins la chair obscène que l’appât d’une autre surface. Paradoxe de ce carnaval des signes : c’est parce que le mot, délesté d’un encombrant signifié, devient enveloppe labile, réversible à l’envi, que le corps, dans le texte, peut faire retour, à l’envers du mot, sur l’autre face – celle qui, chez O’Connor, s’exhibe plus qu’elle ne se voile. Le texte, on l’a vu, attire le regard : saturant sa surface des échos discordants d’une série de préfixes dans le passage déjà cité (“dissatisfaction”, “dishonorable discharge”, 514), le texte offre, en guise de dernier mot (discharge), un mot qui se retourne – la permission déjà déshonorante venant s’entacher de sécrétions rien moins que douteuses. Le sens, à peine secrété par le mot, s’excrète donc pour laisser place à un autre, dans ce texte où le bas corporel est l’envers d’un visage innocent, voire bigot, où le blasphème est l’autre face de la reconnaissance du divin : “Christ!” s’écrient les joueurs de billard (526) quand ils soulèvent la chemise de Parker et découvrent son nouveau tatouage. Juron ou extase divine, pile ou face ? Le texte ne dit pas, mais la question se pose-t-elle dans le cas de cette pièce à double face que figure ici Parker, une pièce qui n’a pour revers qu’un autre avers, contrefaçon ou fausse monnaie, sur laquelle nous sommes appelés à spéculer ?


Confronté à un tel carnaval des sens, le lecteur n’a en effet guère le choix que de jouer le jeu de sa duplicité et ne considérer sa valeur nominale (en anglais, ” face-value “) qu’en le regardant sur la tranche, là sont renvoyés dos à dos, ou face à face, les signifiés de cette surface réversible qu’est le mot. “That boy’s a real card!” (526) s’exclame, dans la salle de billard, l’homme à la chemise à carreaux : “a real card” c’est-à-dire un rigolo, un arnaqueur peut-être, qui, à l’image d’une carte double face, ne peut tenir qu’un double langage. Dans “The Displaced Person”, autre récit d’O’Connor, la sentencieuse Mrs. Shortley déclare à qui veut l’entendre que ” parler deux langues, c’est comme avoir des yeux derrière la tête ” (“knowing two languages was like having eyes in the back of your head.”, 233), ce qui donne, si on regarde la proposition en miroir, “having eyes in the back of your head was like knowing two languages”. Parker est de fait un beau parleur : expert en mensonges véniels et autres contrefaçons (il transforme sa vieille employeuse décharnée en blonde plantureuse, feint de s’être blessé à la main pour appâter Sarah Ruth, ment sur son âge pour rentrer dans la marine etc…), il joue avec les mots, dont seule l’enveloppe est pour lui espèce sonnante et trébuchante : “God damnit! he hollered, Jesus Christ in hell! Jesus God Almighty damn! God damnit to hell! He went on, flinging out the same few oaths over and over as loud as he could.” (511) Ce qui prévaut pour lui, c’est l’économie paradigmatique de l’interchangeabilité ; et il jongle à l’envi avec les signifiants, les combinant ou les échangeant, à l’instar du petit Harry/Bevel (mais la candeur en moins) qui, dans le récit intitulé “The River”, s’étonne, lui, de découvrir un sens à des mots qui n’étaient jusqu’alors qu’un lot d’interjections du même acabit : “If he had thought about it before, he would have thought Jesus Christ was a word like “oh” or “damn” or “God”” (163). Pour Parker, le mot et, en particulier, le nom de dieu – faut-il voir ici de la part d’O’Connor un brin d’impertinence ? -, n’est donc qu’une enveloppe, surface rutilante, multi-emploi. À l’artiste qui s’enquiert de ses goûts en matière d’icône (“Father, Son or Spirit?”, 522), Parker répond, d’un ton d’impatience : “Just God. Christ. I don’t care. Just so it’s God.” Qu’importe donc le mot, pourvu qu’il ait l’image… À sa suite, le texte d’O’Connor, dont les mots, délestés d’un signifié attitré, semblent s’écouter, se contempler plus encore que se déchiffrer, menace lui aussi de succomber à la tentation de faire image. Dans “Parker’s Back”, quand le mot devient peau, il se regarde ; quand l’écriture flirte avec l’image, le texte se tatoue… faute de mieux.

“a panner-rammer” : le texte tatoué

Si “Parker’s Back” est bien l’histoire d’un homme qui se fait image, cette image, nous ne la verrons jamais, car nous n’en avons que le texte. C’est un peu comme si le récit était pris entre l’impossibilité de dire l’image et la tentation de faire image, non pas tant de la montrer, que, dans un accès de réflexivité, de devenir image. Récit d’une image à jamais manquante, “Parker’s Back” ne cesse donc de nous faire miroiter l’ekphrasis d’une peau – une ekphrasis qui pourrait bien elle aussi être un leurre, tant elle se sabote elle-même jusqu’à la parodie.

There emblazoned in red and blue was a tattooed eagle perched on a cannon. […] Above the eagle a serpent was coiled about a shield and in the spaces between the eagle and the serpent there were hearts, some with arrows through them. Above the serpent there was a spread hand of cards.


“Haphazard and botched” (514), dira Parker de l’effet produit, lui qui est toujours en quête de la merveilleuse image entr’aperçue, un jour, sur le corps du forain. “Haphazard and botched”, pourrait-on dire aussi de cette première ekphrasis, piètre accumulation de tours présentatifs. On eût espéré mieux que cette série pathétique de chromos rutilants – sauf à y voir, posté au début du récit, un caveat lector destiné à diriger ailleurs le désir du lecteur. D’ekphrasis, il n’y en aura pas, ou peu. Le texte ne cherchera pas à écrire ce qui semble ne pouvoir se décrire ; l’image, il essaie plutôt de l’inscrire, à même sa peau.


“He visualized having a tattoo put there that Sarah Ruth would not be able to resist-a religious subject. He thought of an open book with HOLY BIBLE tattooed under it and an actual verse printed on the page.” (519), nous dit le texte, au moment où Parker tente d’imaginer ce qu’il va bien pouvoir faire de ce qu’il lui reste de surface. “Parker’s Back”, tout comme le dos de Parker, s’essaie ici au tatouage, tatouant sa propre peau d’un texte-image (“HOLY BIBLE”, dont il faut souligner ici la typographie), comme si, incapable de dire l’image, il décidait de nous la montrer en se faisant image. La tentative, pourtant, se solde d’un échec. Car si le texte parvient ici à faire image, c’est que l’image en question n’est malgré tout, toujours et rien de plus, qu’un texte qui, devenant image, se perd en tant que texte et n’a pas plus de raison d’être que l’image qui le donne à voir.

This seemed just the thing for a while; then he began to hear her say, “Ain’t I already got a real Bible? What you think I want to read the same verse over and over for when I can read it all?” He needed something better even than the Bible!” (519)

Mieux que le texte, mieux que l’image d’un texte, Parker, après l’expérience du buisson ardent, décide qu’il ne lui faut rien moins que l’icône de Dieu tatoué sur le dos ; mais cette image-là, le texte ne peut ni n’essaie de la restituer, en tant qu’image, au lecteur. Au lieu de l’image, le texte nous offre les instruments de son “faire”, dans tous les détails – le savon, le chlorure d’éthyle, l’encre et le stylo d’iode – puis il nous la livre en morceaux, des parties qui ne parviennent guère à faire un tout, des lignes et des traits qui ne la dessine pas tant qu’ils désignent son incomplétude :

…a mouth, the beginning of heavy brows, a straight nose, but the face was empty; the eyes had not yet been put in. The impression for the moment was almost as if the artist had tricked him and done the Physician’s Friend. (523-24)

– étrange blason d’un visage morcelé et aveugle, qui ne fait pas encore image, qui ne peut faire image qu’en renvoyant à une autre image d’anthologie. L’impression est comme suspendue ; de l’image, le texte ne peut nous offrir qu’une fiction, toujours inachevée. Dans “Parker’s Back”, l’image ne se regarde pas, ne se confronte pas, face à face ; si on la voit – on ne s’en étonnera peut-être pas – ce n’est qu’à travers le miroir enténébré du texte qui reflète et image sa voix : étonnant récit, en effet, que “Parker’s Back” où ce que l’on voit de l’image est avant tout sa voix.


“A ferocious thud propelled him into the air, and he heard himself saying in an unbelievably loud voice, “GOD ABOVE!”” (520) : la puissance de l’arbre en feu ne sera pas décrite autrement. Le texte ne montre peut-être donc qu’en se montrant lui-même, par l’entremise de majuscules qui lui dessinent à fleur de peau l’empreinte d’une voix ; dans “Parker’s Back”, l’image parle, l’image crie, tel le dessin criard qui recouvre le bras de Parker (“loud design”, 512), et c’est ainsi qu’elle s’imprime dans le texte, laissant pour empreinte visible, la tonitruance de sa typographie : “It said as plainly as if silence were a language itself, GO BACK.” (522) Ne pouvant nous donner à voir l’image, le texte se fait image lui-même, mais cette fois image du dire de l’image, et non du voir, d’un dire qui se montre, s’expose à fleur de texte. “Parker’s Back”, à l’image du dos de Parker, devient panorama d’une voix : “panner-rammer”, dira l’employeuse de Parker (519) – le mot lui-même ne pouvant recouvrer la vue, si l’on peut dire, qu’en exigeant qu’on lui prête l’oreille. Pour entendre l’image, il faut donc voir la voix, et le texte de porter les traces visibles de cette voix qui s’image : HURT (512), GOD ABOVE! (520), GO BACK (522), et peut-être aussi, à la page 528, les initiales O. E., qui font du texte un texte ocellé, telle une image qui nous regarde tout autant qu’il nous faut la regarder. Or, cette image, exposée au regard, à la fin du récit, se met soudain à saigner.

III La passion de l’image

Parker was too stunned to resist. He sat there and let her beat him until she had nearly knocked him senseless and large welts had formed on the face of the tattooed Christ. […] She stamped the broom two or three times on the floor and went to the window and shook it out to get the taint of him off it. […] There he was-who called himself Obadiah Elihue-leaning against the tree, crying like a baby. (529-530)


Mystère de la fin, passion de l’image et vengeance de la surface… En faisant saigner l’image, Sarah Ruth finit par faire pleurer son envers : l’image aurait-elle pénétré la peau, sous la peau, pour toucher le cœur ? En flagellant la face de l’image, Sarah Ruth s’attaque à la source même du visible, “the all-demanding eyes” (522) tatoués sur la peau de Parker, pareils aux deux yeux de “look” qui constellent le texte. Le vu comme le voir, par ce geste, semblent remis en cause ; à son point de fermeture, le récit, dans une ultime mise en scène, brouille la vision au risque de la perdre, à moins qu’il ne lui trouve une relève inattendue dans le toucher.

Epreuve de la surface : le toucher

Ce texte écrit sous le signe de la peau, ce texte qui nous touche, peut-être un peu plus que les autres, pourrait en effet être relu comme l’histoire d’un désir, désir de toucher, toujours différé, toujours impossible, de toucher l’image, de toucher le sens, de toucher les sens.


Voulant toucher son épouse frigide, O. E. Parker se fait tatouer un Christ sur le dos. Il en aura pour son argent ! Touchée, Sarah Ruth l’est assurément, bien que cela soit à rebours des attentes de Parker, qui en est quitte pour se faire accuser d’idolâtre et se faire chasser de chez lui à coups de balai. Mais la comédie de la mégère non apprivoisée rouant de coups le pauvre mari se retourne pour laisser place aux sombres couleurs de ce qui pourrait bien être une Passion. Car toucher l’image, c’est déjà toucher à l’image. L’image sacrée, intouchable, touche, et refuse qu’on la touche autrement que des yeux. Noli me tangere : dans une récriture burlesque de la scène biblique, Parker se débat entre les mains des joueurs de billards jusqu’à ce qu’ils découvrent le Christ tatoué, et que, dans le silence, ils se retirent, laissant l’image intacte. Intacte, pourtant, elle ne va pas le rester : flagellée par celle qui croit y voir une idole, l’image se défait-redevenant pigments, teinte ou souillure (taint), à moins que les coups qui l’atteignent ne la défigurent en tant que figure que pour la faire renaître en tant que corps. Souffrance de l’image, Passion de la surface : la beauté de cet ultime récit d’O’Connor est peut-être là, dans cette suspension du sens, ce mystère de la fin, où l’image ne s’incarne que dans le même temps qu’elle s’estompe, comme si elle ne pouvait devenir tangible qu’en s’effaçant.


“Everything he touches he breaks” (511), dit de Parker son employeuse – ce que l’on pourrait dire aussi de Sarah Ruth, qui en touchant l’image, la brise comme image, tout en lui donnant corps : corps sacré, né d’une image sacrifiée. Le dernier mot du récit (“crying like a baby”), peut-être aussi celui de l’écrivain à l’heure de sa mort, est le cri d’une naissance que le texte, cette fois, ne nous donne ni à voir ni à entendre, ni même à déchiffrer : ce cri est seulement quelque chose qui nous touche. Chez O’Connor, lorsque l’image s’ouvre, ou se déchire, il n’y a toujours rien à voir ; si l’image s’incarne à la fin du récit, ses bords entr’ouverts comme ceux d’une plaie ne font toujours pas signe vers une quelconque profondeur, vers un ailleurs. Ce qui s’éprouve dans l’écriture d’O’Connor, c’est, pour reprendre l’expression de Jean-Luc Nancy dans son opuscule intitulé Corpus, “l’expérience de toucher à ce qui est d’une certaine façon l’intouchable, mais au sens où l’intouchable n’est rien qui soit derrière, ni un intérieur, ou un dedans […] L’intouchable, c’est que ça touche.” (op. cit., 127) Il ne s’agit donc plus de pénétrer, mais de rendre concrets une épaisseur, une texture, un tissage, qui exhibent, dans l’entrelacs de leurs fils, ce mystère si cher à l’écrivain.

Epaisseurs

Sans doute Parker le tatoué essaiera-t-il, à la fin du récit, de pénétrer chez lui, comme un voleur. La scène frôle la bouffonnerie : “He slammed the car door, stamped up the two steps and across the porch and rattled the door knob. It did not respond to his touch. “Sarah Ruth!” he yelled. “Let me in.”” (528) Pourtant ni le bouton de porte, ni Sarah Ruth dont la voix est qualifiée d’insensible (“unfeeling”) ne réagissent à l’insistante poussée masculine et la mise en scène de la pénétration du corps domestique, pour évidente qu’elle soit ici, n’est peut-être pas ce qui devrait attirer le plus notre attention. Relisons.

…as he stood there, a tree of light burst over the skyline.
Parker fell back against the door as if he had been pinned there by a lance.
“Who’s there?” the voice from inside said and there was a quality about it now that seemed final. […]
“Obadiah”, he whispered and all at once he felt the light pouring through him, turning his spider web soul into a perfect arabesque of colors, a garden of trees and birds and beasts. (528)

Si l’impénétrabilité du corps de la maison et de la femme laisse place ici à la pénétration métaphorique de Parker, comme transpercé par une lance, puis traversé par la lumière, l’ambivalence souvent soulignée de la conjonction as if – qui n’établit une analogie que pour la mettre en doute, laisser flotter le sens et l’ouvrir à la conjecture ; l’insistance sur la focalisation (he felt) sont autant de médiatisations qui semblent faire obstacle à ce rêve de transparence qu’elles suggèrent pourtant. Car si la chair s’entrouvre, la lueur aperçue se colorie déjà, vitrail chatoyant plus que fente céleste. L’âme que se découvre Obadiah Elihue, au moment où il accepte de donner corps à son nom, cette âme qui enfin lui apparaît telle qu’il l’a toujours désirée, lui offrant cet “effet total” [16] dont il rêvait, n’est autre qu’une trame (a web soul), non pas quelque insubstantialité ayant partie liée avec l’éther non plus qu’une profondeur immatérielle, mais une concrétude qui vient raccorder ses deux (sur)faces, leur donner une épaisseur. Concrescere : s’épaissir. Chez O’Connor, le mystère s’incarne dans l’épaisseur d’une trame à la matérialitéparadoxalequine peut s’appréhender que par les sens.

Whatever the novelist sees in the way of truth, écrit-elle dans Mystery and Manners (174), must become embodied in the concrete and human. If you shy away from sense experience, you will not be able to read fiction; but you will not be able to apprehend anything else in this world either, because every mystery that reaches the human mind, except in the final stages of contemplative prayer, does so by way of the senses. Christ didn’t redeem us by a direct intellectual act, but became incarnate in human form […] All this may seem a long way from the subject of fiction, but it is not, for the main concern of the fiction writer is with mystery as it is incarnated in human life.

O’Connor n’a eu de cesse, dans ses écrits et ses discours, de dénigrer l’abstraction, de rire de l’insubstantiel s’il n’est incarné dans le concret. Seul le littéral a quelque chance de véhiculer le surnaturel, insiste-t-elle (op. cit., 174) ; seule la lettre dans sa matérialité, sa sensualité, peut conduire au mystère du sens, ajoutera le lecteur d’O’Connor, sensible à ce qui se dit dans les non-dits du texte [17]. Le mystère de l’incarnation serait donc avant tout, dans les textes de Flannery O’Connor, mystère incarné, donné, manifesté, rendu soudain étrangement concret par l’écriture. Si l’écriture d’O’Connor touche au mystère, c’est qu’elle n’y touche pas : elle l’incarne, l’exhibe, l’expose ; au lecteur, peut-être, de se laisser toucher. ” Il faut comprendre la lecture, écrit Nancy, comme ce qui n’est pas le déchiffrement : mais le toucher et l’être touché […] Ecrire, lire, affaire de tact… ” (76) Mais il s’agit, chez O’Connor, d’un toucher sans contact : l’écriture y laisse le mystère intact et le sens en souffrance ; elle est énigme, au sens où l’énigme est ” manifestation sensible du mystère ” [18] – ostension, dans “Parker’s Back”, d’un retrait ou d’un effacement.

L’énigme comme manifestation du mystère

“Parker’s Back”, qui l’eût cru, est donc un texte exhibitionniste, qui ne cache rien, qui, en montrant la peau, la peau de Parker et la sienne, à nu, manifeste ainsi le mystère d’une épaisseur qui n’est pas une profondeur mais une trame sensitive.


La peau comprend, explique, expose, implique les sens […] sur son fond, écrit Michel Serre, dans son ouvrage, Les Cinq sens. Les sens hantent la peau, passent dessous et se voient dessus, fleurs, bêtes et branches de son tatouage, yeux qui constellent la queue du paon ; ils traversent son épiderme jusque dans ses secrets subtils. [19]


C’est à même la peau, à travers cette image qui s’efface, que tout se dit, que tout est dit. Nous n’en saurons pas plus. Le sens doit demeurer dans la profondeur de cette surface, dans l’épaisseur des mots, la texture du texte et sa trame. “[T]he first and most obvious characteristic of fiction is that it deals with reality through what can be seen, heard, smelt, tasted and touched”, répète O’Connor, dans Mystery and Manners (91, 197) ; “The novelist begins his work where human knowledge begins-with the senses.” (155)


Synesthésie : en prenant le dernier texte d’O’Connor, à contresens, à rebrousse-poil, en n’acceptant de ne voir de la transcendance que ce que l’écriture en manifeste, le lecteur rétif n’a donc peut-être fait que prendre O’Connor au mot, retrouvant le corps et le mystère de son incarnation dans un texte sensible, sensitif, voire sensuel. Pourquoi tenter encore de déflorer le mystère, ou le texte ?


…les fentes, les trous, les zones ne donnent rien à voir, ne révèlent rien, écrit Nancy, la vision ne pénètre pas, elle glisse le long des écarts, elle suit les départs. Elle est toucher qui n’absorbe pas, qui se déplace le long des traits et des retraits qui inscrivent et qui excrivent un corps. Caresse mobile, instable, voyant au ralenti, à l’accéléré, à l’arrêt sur image, voyant aussi par touches d’autres sens, odeurs, goûts, timbres, et même, avec les sons, les sens des mots… (42)


Ne tentons pas d’aller plus loin, de percer à jour un récit vulnérable qui s’expose déjà. Restons donc pour une fois à la surface, là où affleure le mystère, à fleur de peau…


Notes

[1] J’emprunte le néologisme à Jean-Luc Nancy (Corpus, Paris, Métailié, 2000, p. 31.)

[2] A.Bleikasten note dans l’introduction de son article publié dans le Southern Literary Journal, Vol. XIV (Spring 1982) :

…nearly all readings of “Parker’s back” are merely elaborations of the religious meaning intended by its author. Yet, as in all truly literary texts, there are meanings in excess of the one we are asked to accept as valid and final by the writer, and I can see no point in endlessly embroidering the pattern of interpretation which O’Connor wanted to impose on her audience. Not that the pattern can be entirely eluded, for even if we deny her a privileged status as interpreter of her work, even if we refuse to be bullied into submission to authorial authority, we cannot disregard the apologetic intentions encoded in her texts. They are unmistakably there, and no honest reading of her fiction can leave them out of account. Other avenues of inquiry and interpretation, however, are not only possible but legitimate […] To refresh our perception and appreciation of her work, what is probably needed now is a freer, less timorous and less pious approach, focusing on the multiple meaning produced by the interplay of signifiers rather than on a unique, unequivocal transcendental signified equated with ultimate truth. (p 9-10) (C’est moi qui souligne.)

Je me place donc dans la lignée de ces critiques qui, conscients du ” vouloir dire ” de l’auteur, osent pourtant passer outre ces injonctions un tant soit peu autoritaires pour redonner au texte une ” majorité ” et lui permettre, une fois désamarré d’un signifié imposé, de jouer librement, voire de déjouer les significations encodées. Accorder au texte cette ” licence d’expression “, c’est refuser d’arrêter le sens et de clore l’interprétation-un principe cher à Flannery O’Connor dont les textes critiques, sous l’apparence d’un dogmatisme sans faille, s’obstinent, au risque de se contredire, à ménager la possibilité d’une échappée du sens, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs. “A story is good when you continue to see more and more in it, and when it continues to escape you. In fiction, two and two is always more than four.” (Mystery and Manners, 102). L’œuvre reste ouverte ; au lecteur, rassuré de ne plus encourir d’anathème, de poursuivre cet excédent de sens qui en fait le mystère et l’attrait.

[3] Flannery O’Connor, Mystery and Manners, Sally and Robert Fitzgerald (ed.), Farrar, New York, Straus & Giroux, 1961, p. 45.

[4] Flannery O’Connor, The Complete Stories, New York, Faber and Faber, 1971. Toutes les citations sont tirées de cette édition. Ici, comme ailleurs, sauf indication contraire, c’est moi qui souligne.

[5] L’adjectif peeling s’emploie pour une peau qui pèle, un papier peint qui se décolle ou de la peinture qui s’écaille ; le substantif peelings signifie, quant à lui, pelures, épluchures – allusion discrète, peut-être, à l’oignon du premier paragraphe. Au détour d’une simple qualification, qui pourrait passer inaperçue, le texte d’O’Connor met ainsi en place tout un réseau de connotations, où reviennent peau, pelures, épluchage, habillage et déshabillage.

[6] “Fiction writing is very seldom a matter of saying things; it is a matter of showing things.”, écrit-elle dans Mystery and Manners, p. 93.

[7] Mot qui signifie “permission” mais où le lecteur peut déjà entendre les plis et les replis que fait la voile (furl) telle une peau invaginée.

[8] “A huge dissatisfaction would come over him and he would go off and find another tattooist and have another space filled up.” (514)

[9] “Dissatisfaction began to grow so great in Parker that there was no containing it outside of a tattoo.” (519)

[10] Voir Exode, 3, 1-6.

[11] “When it suits him, the peacock will face you. Then you will see in a green-bronze arch around him a galaxy of gazing, haloed suns. This is the moment when most people are silent.” (Mystery and Manners, 10) Sur le dos de Parker, comme sur la queue du paon, surgissent des soleils divins (le texte joue, ici comme ailleurs, sur l’homophonie entre “sun” et “son”) qui vous regardent en face et vous forcent au silence.

La fascination de Flannery O’Connor pour les paons, qui déambulaient dans la cour de la ferme de Milledgeville où elle vivait avec sa mère, est bien connue. Dans l’essai intitulé “The King of Birds”, publié en 1961, elle raconte comment un intérêt d’abord des plus ténus se changea pour elle en passion dévorante, et devint une quête mystérieuse. Il y aurait beaucoup à dire sur ce texte qui, à bien des égards, peut être lu comme un art poétique. ” Et s’ils sont une métaphore de l’artiste et de l’écrivain, c’est d’abord parce qu’ils sont des monstres paisibles, destructeurs, indifférents “, écrit Geneviève Brisac dans son ouvrage Loin du paradis, Flannery O’Connor, Paris, Gallimard, 1991 (17). Métaphore de l’artiste, le paon est peut-être aussi incarnation d’une écriture dont il faut savoir admirer l’envers, une écriture ” à la Parker ” qui regarde celui qui la regarde jusqu’au vertige. La ressemblance est troublante, en effet, entre Parker, l’homme qui porte, inscrit sur son dos les yeux du Christ pantepopte, l’homme qui cherche pendant des années un dessin, un patron (“pattern”), pour recouvrir sa peau, donner sens à son être et forme visible à son âme, et ce roi des oiseaux ainsi décrit par O’Connor :
The cock’s plumage requires two years to attain its pattern, and for the rest of his life this chicken will act as though he designed it himself. For his first two years he might have been put together out of a rag bag by an imaginative hand. (Mystery and Manners, 8)

(On se souviendra que Parker n’est lui non plus guère satisfait de l’effet produit par ses premiers tatouages “The effect was […] of something haphazard and botched.” 514)
In his third year he reaches his majority and acquires his tail. For the rest of his life […] he will have nothing better to do than manicure it, furl and unfurl it, dance forward and backward with it spread. (Mystery and Manners, 8, les italiques sont d’origine)

– danse qui ne laisse de rappeler les incertitudes appuyées de la chorégraphie parkerienne.

[12] “Anything that helps you to see, anything that makes you look.” (Mystery and Manners, 84), ou encore “For the writer of fiction, everything has its testing point in the eye.” (op. cit, 91, 144)

[13] “a single intricate design of brilliant color”, 512.

[14] Facéties mises à part, l’histoire de Parker est bien l’histoire d’un retour : Parker, de retour de ses errances, revient auprès de sa femme et accepte de reprendre son nom.

[15] “Parker’s Back” s’inscrit en effet dans le genre de la comédie burlesque du mari battu, elle-même fondée sur un renversement des genres. En atteste ici le premier paragraphe du récit où le regard pénétrant de Sarah Ruth vient renverser l’image traditionnelle d’une certaine féminité.

[16] La quête d’un ” effet total ” qui supplanterait une vision fragmentée de l’œuvre est un principe cher à O’Connor. Elle publie en 1963 un essai, repris dans Mystery and Manners sous le titre (originel) de “Total Effect and the Eighth Grade”, dans lequel elle souligne la capacité chez le bon romancier de créer un effet de cohérence et de totalité :
If he is a good novelist, he raises [the passions] to effect by their order and clarity a new experience-the total effect-which is not in itself sensuous or simply of the moment. Unless the child has had some literary experience before, he is not going to be able to resolve the immediate passions the book arouses into any true, total picture. (139)

Elle reprend la même idée dans un autre essai, également republié dans Mystery and Manners où elle fustige les ” mauvais lecteurs ” pour ne pas avoir assez de recul sur le texte : “[the bad readers] don’t see the book in a perspective that would reduce every part of it to its proper place in the whole.” (188). Il serait intéressant de rapprocher cet idéal d’écriture, et de lecture, de la volonté de Parker de recréer sur son corps, devenu son œuvre, cette unicité de composition dont la beauté l’avait d’abord frappé sur le corps de l’homme aux tatouages (“a single intricate design of brilliant color”, 512) – effet de totalité dont il fait son horizon d’attente, d’abord déçu (“The effect was not of one intricate arabesque of colors…”, 514), puis comblé (“…turning his spider web soul into a perfect arabesque of colors, a garden of trees and birds and beasts”, 528).

[17] “The beginning of human knowledge is through the senses and the fiction writer begins where human perception begins. He appeals through the senses, and you cannot appeal to the senses with abstractions. It is a good deal easier for most people to state an abstract idea than to describe and thus re-create some object they actually see. But the world of the fiction writer is full of matter, and this is what the beginning fiction writers are loath to create. They are concerned primarily with unfleshed ideas and emotions. They are apt to be reformers and to want to write because they are possessed not by a story but by the bare bones of some abstract notion. They are conscious of problems, not of people, of questions and issues, not of the texture of existence, of case histories and of everything that has a sociological smack, instead of with all those concrete details of life that make actual the mystery of our position on earth. […] fiction is hard if not impossible to write because fiction is so very much an incarnational art.” (Mystery and Manners, 67)

[18] ” Qu’est-ce qu’une énigme ? La délivrance d’un sens à mots couverts, une parole cryptée qui laisse soudain à découvert ce qui était jusque-là un pur mystère. L’énigme s’oppose ainsi au mystère non pas en tant que sa négation, mais comme figure de sa manifestation cryptée. ” (Marie-José Mondzain, Image, Icône, Economie, Paris, Seuil, 1996, p. 109. Les italiques sont d’origine.) ” La manifestation sensible du mystère, c’est cela l’énigme, une crypte pour le regard, berceau de l’imaginaire. ” (op. cit., 150)

[19] Michel Serres, Les Cinq sens, Paris, Hachette Pluriel, 2003, p.70.